Le Cercle du Phénix
réfléchit un long moment, semblant peser
le pour et le contre. Son visage extraordinairement mobile et expressif
laissait transparaître toutes ses émotions. Enfin, il parut prendre une
décision.
— D’accord,
mais nous ferions mieux d’en parler ailleurs. J’ai du travail pour l’instant,
un article à terminer.
— Sur
quel sujet ? s’enquit Andrew avec curiosité.
— Une
femme qui a la fâcheuse habitude d’empoisonner ses chats, expliqua Jeremy d’un
air déconfit.
— Palpitant,
se moqua Nicholas.
— Certes…,
convint Jeremy en poussant un soupir à fendre l’âme. Mais si vous pouviez
attendre demain matin pour notre affaire… Dites-moi où je peux vous trouver.
Voilà qui n’arrangeait pas le trio. Si Jeremy Shaw se
révélait être un ennemi, mieux valait ne pas le perdre de vue. Mais s’ils
insistaient et que le jeune homme n’avait rien à se reprocher, celui-ci
risquait de se méfier et de ne plus rien leur dire.
Cassandra en prit son parti. Il fut convenu qu’une
voiture viendrait chercher le journaliste le lendemain matin et le conduirait
au manoir Jamiston. Ils prirent ensuite congé, laissant Jeremy se débattre au
milieu de son capharnaüm.
— Il
m’a paru plutôt sympathique, déclara Andrew une fois qu’ils furent sortis du
bâtiment. J’ai du mal à croire qu’il puisse appartenir à une bande d’assassins.
— C’est
vrai, mais cela ne prouve rien, argua Nicholas. Je crois que je vais rester ici
cette nuit pour faire le guet et vérifier qu’il ne nous file pas entre les
doigts. Je reviendrai au manoir avec lui demain.
Cassandra hocha la tête.
— Comme
vous voulez. C’est peut-être plus prudent, en effet.
La jeune femme et Andrew se séparèrent donc de l’avocat
dans Fleet Street et repartirent seuls en voiture. Nicholas traversa alors la
rue pour se poster devant le Ye
Olde Cheshire Cheese, l’une des plus vieilles auberges de la Cité que fréquentaient assidûment des
écrivains tels que Charles Dickens ou William Thackeray, et guetta la sortie du
journaliste.
*
Au même instant, aux abords de St James’s Park, l’homme
qui avait recueilli le garçon aux cheveux blancs se disposait à entrer dans la
chambre de ce dernier. Son état s’était amélioré au cours des dernières
quarante-huit heures, même s’il restait affaibli par la perte de sang qu’il
avait subie. Durant ses périodes de conscience, il n’avait pas prononcé un seul
mot, mais son regard… son regard si étrange l’obsédait…
Pensif, l’homme ouvrit la porte et s’immobilisa sur le
seuil de la pièce, abasourdi. Par la fenêtre ouverte pénétraient de violentes
bouffées de vent, et les rideaux battaient dans le courant d’air. Le lit défait
était vide. L’enveloppe et les bourses posées sur la table de chevet avaient
disparu.
Le jeune homme aux cheveux d’argent était parti.
Il en conçut une inexplicable tristesse.
*
L’assassin entra dans la petite chambre qu’il habitait
au cœur de Londres. Des murs blanchis à la chaux, nus et décrépis, un lit de
fer-blanc muni d’un matelas, d’un oreiller et d’une couverture de laine élimée,
une chaise de bois, une commode bancale, rien de plus. Une chambre triste et
solitaire, à l’image de la vie du jeune homme. Hormis ses armes, il ne
possédait rien. Il n’avait besoin de rien. Ou, plus précisément, il n’avait
envie de rien. La flamme du désir était depuis très longtemps déjà éteinte en
lui.
Épuisé par le trajet parcouru, il s’adossa au mur, près
de la petite fenêtre pratiquée dans la pente du toit qui ne laissait filtrer
dans la journée qu’un mince filet de lumière. Son épaule le faisait encore
souffrir, mais il n’y accordait aucune importance. Il se laissa lentement
glisser sur le sol poussiéreux, puis, quand il se retrouva assis, ramena ses
genoux près de son menton et les enlaça de ses bras.
La pluie s’était mise à tomber sur la ville, frappant le
carreau sale à petits coups furtifs et sournois.
Le garçon aux cheveux blancs était songeur. D’habitude,
il ne pensait à rien. Son esprit flottait dans le vide, incapable de se
raccrocher à la moindre idée. Mais aujourd’hui, c’était différent. Ses pensées
tourbillonnaient dans sa tête sans qu’il pût ni les freiner ni les contrôler,
et cela constituait une sensation nouvelle pour lui. Nouvelle et plutôt
agréable. Pour la première fois depuis une éternité, il
Weitere Kostenlose Bücher