Le Chant de l'épée
le penser aussi ?
— Elle m’a été offerte par une femme. Une
maîtresse. Mais le dieu chrétien s’est emparé d’elle et elle n’aime plus les
hommes.
Erik toucha la croix d’une main hésitante.
— Tu ne crois pas que c’est cela qui
donne sa force à l’épée ? demanda-t-il.
— C’est peut-être le souvenir de son
amour, dis-je. Mais la puissance vient de là, ajoutai-je en touchant le marteau
de Thor à mon cou.
— Je crains leur dieu, dit Erik.
— Il est dur, sans pitié. C’est un dieu
qui aime prononcer des lois.
— Des lois ?
— Tu n’as pas le droit de désirer l’épouse
de ton voisin, dis-je.
Cela fit rire Erik, mais il vit que je ne
plaisantais pas.
— C’est vrai ? demanda-t-il.
— Prêtre ! appelai-je. Ton dieu autorise-t-il
les hommes à désirer l’épouse de leur voisin ?
— Il les laisse faire, répondit Pyrlig
humblement, comme s’il me craignait. Mais il réprouve.
— A-t-il édicté une loi à ce sujet ?
— Oui, seigneur. Et il en a prononcé une
autre qui dit que l’on ne doit pas désirer le bœuf de son voisin.
— Voilà, dis-je à Erik. On ne peut même
pas avoir envie d’un bœuf quand on est chrétien.
— Étrange, fit-il pensivement. (Il
considéra les messagers de Guthrum qui avaient échappé de peu à la décapitation.)
Cela ne t’ennuie pas de les escorter ?
— Non.
— Ce n’est peut-être pas plus mal qu’ils
restent en vie. Pourquoi donner à Guthrum des raisons de nous attaquer ?
— Il ne le fera pas, que tu les tues ou
non.
— Probablement, acquiesça-t-il, mais
puisque nous étions convenus qu’en cas de victoire du prêtre ils devaient tous
être épargnés, qu’ils aient la vie sauve. Et tu es vraiment sûr que cela ne te
gêne pas de les escorter ?
— Bien sûr que non.
— Reviens ici ensuite, ajouta-t-il
chaleureusement. Nous avons besoin de toi.
— Vous avez besoin de Ragnar, corrigeai-je.
— Certes, avoua-t-il en souriant. Accompagne
ces hommes hors de la ville et reviens-nous.
— Je dois d’abord aller chercher une
épouse et des enfants, dis-je.
— Oui, sourit-il encore. Tu es bien
fortuné. Mais tu reviendras ?
— Bjorn le Mort me l’a dit, éludai-je.
— Certes, fit-il en m’étreignant. Nous
avons besoin de toi, et ensemble nous prendrons cette île tout entière.
Nous partîmes par la
porte ouest appelée porte de Ludd, puis nous passâmes le gué de la Fleot. Sihtric
chevauchait courbé sur sa selle, souffrant encore des coups de Sigefrid. Je me
retournai alors que nous traversions, pensant que le Norse aurait envoyé des
hommes à notre poursuite, mais nul ne parut. Nous pressâmes l’allure dans les
marais puis remontâmes jusqu’à la ville saxonne.
Laissant la route qui menait à l’ouest, je
pris vers les quais où étaient amarrés une dizaine de navires, qui assuraient
le négoce entre Wessex et Mercie. Comme peu de navigateurs tentaient de
franchir la brèche dans l’ancien pont en ruine que les Romains avaient
construit sur la Temse, ces navires étaient plus petits, à rames, et tous
devaient me payer l’octroi à Coccham. Ils me connaissaient donc, car ils
faisaient affaire avec moi à chaque voyage.
Nous nous frayâmes un chemin entre les
marchandises, les feux et les groupes d’esclaves qui chargeaient et
déchargeaient. Un seul navire était prêt à partir. Il s’appelait le Cygne et je le connaissais bien. Son équipage était saxon et ses rameurs attendaient
sur le quai pendant que le capitaine, un certain Osric, finissait ses affaires
avec le marchand dont il transportait les biens.
— Tu nous prendras aussi, lui dis-je.
Nous laissâmes presque tous les chevaux, sauf
Smoca et l’étalon de Finan, que nous tenions à conserver. Puis nous partîmes. La
marée était montante, les rames claquèrent et nous prîmes vers l’amont.
— Où dois-je t’emmener, seigneur ? me
demanda Osric.
— À Coccham.
Et à Alfred.
Le fleuve était
large, gris et maussade. Il était abondant, alimenté par les pluies d’hiver
auxquelles les marées montantes offraient de moins en moins de résistance. Les
dix rameurs du Cygne durent lutter contre le courant. Finan et moi
échangeâmes un sourire. Il se rappelait, comme moi, nos longs mois comme
esclaves au banc de nage dans un navire marchand. Nous avions souffert, saigné
et grelotté, pensant que seule la mort nous soulagerait de notre sort, mais à
présent d’autres hommes
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