Le Chant de l'épée
défendre sa vie au
combat.
Et bien entendu, ce ne fut pas un combat
équitable. Il s’acheva en peu de temps. En vérité, presque avant même d’avoir
commencé, et je ne fus pas le seul à m’étonner de son issue.
Sigefrid pensait affronter un gros prêtre
inexpérimenté, mais je savais qu’avant de découvrir sa foi Pyrlig avait été un
grand guerrier, pourfendeur de Saxons, que son peuple avait même célébré dans
des chansons. Il n’en avait guère l’allure, à demi nu, gros, hirsute et couvert
de blessures. Il attendit l’attaque de Sigefrid avec un air terrifié, la pointe
de mon épée encore posée à terre. Il recula à l’approche de Sigefrid en
poussant de petits miaulements. Sigefrid éclata de rire et leva son épée avec
insouciance, pensant écarter la lame de Pyrlig et lui trancher d’un seul coup
la bedaine.
Mais Pyrlig se comporta comme une fouine.
Il leva souplement Souffle-de-Serpent et
recula d’un pas léger, si bien que la lame de Sigefrid ne frappa que le vide. Puis
il s’avança et abattit Souffle-de-Serpent sur le bras de son adversaire. Le
coup ne suffit pas à percer la cotte de mailles, mais il dévia le bras de Sigefrid.
Et Pyrlig s’élança, si vite que nous eûmes à peine le temps de voir
Souffle-de-Serpent s’enfoncer dans la poitrine de Sigefrid.
Cette fois encore, le coup ne suffit pas à
percer la maille, mais elle fit reculer Sigefrid et je vis la fureur flamboyer
dans les yeux du Norse. Il fit tournoyer son épée avec une force qui aurait pu
décapiter Pyrlig, mais celui-ci réagit en un éclair. Souffle-de-Serpent frappa
l’intérieur du poignet de Sigefrid et je vis jaillir le sang comme une brume
rouge.
Et je vis Pyrlig sourire, ou plutôt grimacer, sourire
de la fierté et du triomphe du guerrier. Sa lame avait fendu la maille et la
chair du poignet jusqu’au coude, arrêtant le coup de son adversaire. Le bras du
Norse retomba. Pyrlig recula et abattit Souffle-de-Serpent sur le poignet
ensanglanté de Sigefrid. Il glissa sur l’os, ne coupa que le pouce, et
Donneuse-d’Effroi tomba sur le sol tandis que l’épée de Pyrlig montait déjà
vers la barbe du Norse pour atteindre sa gorge.
— Non ! criai-je.
Sigefrid était trop stupéfait pour être en
colère. Il n’en croyait pas ses yeux. Il avait dû comprendre désormais que son
adversaire était un guerrier, mais il refusait encore d’admettre qu’il avait
été vaincu. Il leva ses mains sanguinolentes comme pour saisir la lame de
Pyrlig ; Souffle-de-Serpent tressaillit et Sigefrid, sentant la mort le
frôler, s’immobilisa.
— Non ! répétai-je.
— Pourquoi ne le tuerais-je point ? demanda
Pyrlig avec la voix et les yeux d’un guerrier.
— Non, répétai-je encore.
Je savais que si le prêtre tuait Sigefrid, les
hommes du Norse le vengeraient.
Erik aussi le savait.
— Tu as vaincu, le prêtre, dit-il en
allant rejoindre son frère. Tu as vaincu, aussi baisse ton épée.
— Sait-il que je l’ai battu ? demanda
Pyrlig en plongeant son regard dans celui de Sigefrid.
— Je parle en son nom, dit Erik. Tu as
gagné ce combat, prêtre, et tu es libre.
— Je dois d’abord délivrer un message, dit
Pyrlig, celui que nous apportons du roi Æthelstan. Vous devez quitter Lundene, qui
ne fait pas partie des terres cédées par Alfred aux Danes. À présent, continua-t-il
alors que Sigefrid restait coi, je veux des chevaux, et le seigneur Uhtred et
ses hommes devront m’escorter hors de Lundene. Est-ce convenu ?
Erik me regarda et j’acquiesçai.
— C’est convenu, dit Erik à Pyrlig.
Je repris Souffle-de-Serpent au prêtre. Erik
soutenait le bras blessé de son frère. Pendant un instant, je crus que le Norse
allait attaquer le Gallois désarmé, mais Erik parvint à l’entraîner.
On alla chercher des chevaux. L’assistance se
taisait, renfrognée. Les hommes avaient vu leur chef humilié et ne comprenaient
pas pourquoi on laissait Pyrlig repartir avec ses compagnons, mais ils
acceptèrent la décision d’Erik.
— Mon frère est têtu, me dit Erik qui m’avait
entraîné à l’écart pendant qu’on sellait les bêtes.
— Apparemment, le prêtre savait se battre,
dis-je d’un ton désolé.
Erik fronça les sourcils, non de colère mais
de perplexité.
— Je suis curieux de leur dieu, avoua-t-il.
Il semble détenir un grand pouvoir. (Je glissai Souffle-de-Serpent dans son fourreau
et il vit la croix qui en ornait le pommeau.) Tu sembles
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