Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Chant de l'épée

Le Chant de l'épée

Titel: Le Chant de l'épée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
Vom Netzwerk:
combattre.

5
    Soudain, ce fut le silence.
    Pas tout à fait, bien sûr. Le fleuve chuintait
entre les piles du pont, des vaguelettes lapaient les coques, et les torches
grésillaient tandis que résonnaient le cliquetis des armes et le bruit des pas.
L’aube pâlissait derrière les nuages noirs.
    — Alors ? demanda Finan en s’approchant,
suivi de Steapa.
    — Nous allons à la porte de Ludd, dis-je.
    Mais je ne bougeai point. J’aurais préféré
être à Coccham avec Gisela. Ce n’était pas de la couardise. La couardise nous
accompagne toujours, et la bravoure, qui inspire les chants qu’écrivent sur
nous les poètes, n’est que la volonté de vaincre la peur. C’était la lassitude
qui me retenait, et non pas la fatigue du corps. J’étais jeune à l’époque, et
les blessures de guerre n’avaient pas encore brisé ma force. Je crois que j’étais
las du Wessex, de combattre pour un roi que je n’aimais point ; et sur ce
quai de Lundene, je me demandais pourquoi je le servais. Aujourd’hui, en
repensant à ces années lointaines, je me demande si cette lassitude avait été
causée par l’homme que je venais d’occire et à qui j’avais promis de le
rejoindre au banquet d’Odin. Je crois que les hommes que nous tuons sont
irrémédiablement liés à nous. Le fil de leur vie, devenu un spectre, est
enroulé par les Nornes autour du nôtre et leur poids nous hante jusqu’à ce que
la lame du destin tranche enfin notre vie. J’éprouvais du remords de l’avoir
tué.
    — Comptes-tu t’endormir ? demanda
Pyrlig en arrivant à son tour.
    — Nous allons à la porte, répondis-je.
    Ce fut comme un rêve. Je marchais, mais j’avais
l’esprit ailleurs. C’est ainsi, pensai-je, que les morts parcourent notre
monde, car les morts reviennent. Pas comme en avait fait semblant Bjorn, mais
par les nuits les plus noires, quand nul être vivant ne peut les voir, ils
arpentent notre monde. Je songeai qu’ils ne devaient le voir qu’à demi, comme
si les lieux qu’ils connaissaient étaient voilés d’une brume d’hiver, et je me
demandai si mon père m’observait. Pourquoi cette pensée ? Je ne ressentais
guère d’affection pour mon père, ni lui pour moi, et il était mort quand je n’étais
qu’un enfant, mais il avait été un guerrier. Les poètes le chantaient.
    Je marchais dans Lundene au lieu d’attaquer
Bebbanburg comme je l’aurais dû. Mon devoir était de dépenser tout mon trésor
pour engager des hommes et lancer l’assaut sur la pointe de Bebbanburg et y
faire grand massacre. Ensuite, je pourrais pour toujours vivre dans ma demeure,
celle de mon père, près de Ragnar et loin du Wessex.
    Seulement, la dizaine d’espions que j’employais
en Northumbrie m’avaient dit ce que mon oncle avait fait de ma forteresse. Il
avait clos les portes côté terre. À leur place s’élevaient des remparts neufs, hauts
et renforcés de pierre. À présent, celui qui voulait entrer devait suivre un
sentier qui menait à l’extrémité nord de l’éperon rocheux où s’élevait la
forteresse. À chacun de ses pas, il était sous ces remparts, à découvert, et
tout au bout, là où la mer se brisait sur les rocs, se trouvait une petite
porte. Derrière, un chemin abrupt menait à un autre rempart et à une autre
porte. Bebbanburg avait été scellée, et pour la prendre il fallait une armée
que tout mon trésor ne pouvait acheter.
    — La chance soit avec vous ! cria
une voix de femme qui me tira de ma rêverie.
    Les habitants de la vieille ville étaient
réveillés et nous regardaient passer, nous prenant pour des Danes, car j’avais
ordonné à mes hommes de dissimuler leurs croix.
    — Tuez ces gueux de Saxons ! hurla
une autre voix.
    Nos pas résonnaient entre les hautes maisons, certaines
de trois étages dont quelques-unes étaient ornées de belle maçonnerie.
    Je songeai qu’autrefois le monde avait été
rempli de telles demeures. Je me souviens que la première fois que j’avais
gravi un escalier romain, cela m’avait paru étrange. À une époque révolue, tout
cela devait paraître commun. Aujourd’hui, le monde n’était qu’étrons de vaches,
paille et bois rongé d’humidité. Nous avions des maçons, bien sûr, mais il
était plus rapide de construire avec du bois ; mais le bois pourrissait, et
personne ne s’en souciait. Le monde entier pourrissait alors que nous glissions
de la clarté vers les ténèbres, toujours plus près de ce chaos obscur

Weitere Kostenlose Bücher