Le Chant de l'épée
cogna le casque sans l’entamer, mais elle étourdit Sigefrid. J’avais
avancé de deux pas et j’abattis mon bouclier sur le sien tout en enfonçant
Dard-de-Guêpe dans sa cuisse. Elle perça la maille et je la tournai pour
déchirer les chairs. Sigefrid tituba et ce fut Osferth, dont le visage n’était
plus qu’un masque d’épouvante, qui porta son épée dans les reins du Viking. Osferth
s’était pissé dessus de terreur, il ne savait plus où il était, l’ennemi
fondait sur lui, mais il venait d’enfoncer sa lame avec la force du désespoir, assez
pour percer la cape de fourrure, la maille et la chair.
Le Norse poussa un hurlement de douleur. Finan,
accouru à mon côté en dansant comme il le faisait toujours, feinta et égorgea
un ennemi, puis cria à Osferth de nous rejoindre.
Le fils d’Alfred était pétrifié de terreur. Sa
dernière heure serait venue si je n’avais jeté ce qui restait de mon bouclier
pour le tirer vers moi et le pousser dans le deuxième rang des nôtres. Puis, sans
bouclier, j’attendis l’attaque.
— Mon Dieu, je te remercie, Seigneur Dieu…,
disait Osferth, pitoyable.
Sigefrid gémissait, à genoux. Deux hommes le
traînèrent à l’écart et je vis Erik contempler avec ébahissement son frère blessé.
— Viens mourir ! lui criai-je.
Il se contenta de me lancer un regard affligé,
puis il hocha la tête, comme pour reconnaître que l’usage me forçait à le
menacer, mais que cela n’en diminuait pas l’estime qu’il avait pour moi
— Viens, viens connaître Souffle-de-Serpent !
le défiai-je.
— Quand sera venu mon temps, seigneur
Uhtred !
Il s’accroupit auprès de son frère, dont la
blessure avait arrêté l’avance de leurs hommes. Ils hésitèrent suffisamment
pour que je me retourne, et je vis que Steapa avait repoussé l’attaque venue de
l’intérieur de la ville.
— Que se passe-t-il sur le bastion ?
demandai-je à Osferth.
Il me fixa, hébété de terreur.
— Merci, Seigneur Jésus…, bafouilla-t-il.
— Réponds ! lui dis-je en lui
donnant un coup de poing au ventre.
— Rien, seigneur, finit-il par répondre. Les
païens ne peuvent gagner le haut de l’escalier.
Je me retournai vers l’ennemi. Pyrlig tenait
le bastion, Steapa la rue : je n’avais plus qu’à tenir ici. Je touchai mon
amulette, effleurai la garde de Souffle-de-Serpent et remerciai les dieux de m’avoir
gardé en vie.
— Donne-moi ton bouclier, dis-je à
Osferth avant de l’enfiler pendant que l’ennemi reformait ses rangs.
— As-tu vu les hommes d’Æthelred ? demandai-je
à Osferth.
— Æthelred ?
— Mon cousin ! aboyai-je. L’as-tu vu ?
— Oh oui, seigneur, il arrive, confirma-t-il
comme si cela n’avait pas plus d’importance qu’une petite pluie sur l’horizon.
— Il arrive ?
— Oui, seigneur.
Et c’est ainsi que la bataille se termina
quasiment, car Æ thelred n’avait pas renoncé à donner l’assaut
à la ville. Il traversait la Fleot avec ses hommes pour prendre l’ennemi par le
revers, le repoussant au nord vers une autre porte. Nous les poursuivîmes un moment. J’avais repris Souffle-de-Serpent, qui est
meilleure en combat ouvert, et m’en pris à un Dane trop gros pour fuir assez
vite. Constatant que les hommes d’Æthelred risquaient de prendre les miens pour
l’ennemi, j’ordonnai à ces derniers de retourner à la porte de Ludd. L’arche
était déserte, jonchée de corps ensanglantés et de boucliers brisés. Le soleil
était haut dans le ciel, mais toujours jaune derrière les nuages qui le
voilaient.
Quelques-uns des hommes de Sigefrid périrent
devant les remparts et la panique dans leurs rangs fut telle que certains
furent même achevés à coups de houe. La plupart parvinrent à passer une autre
porte pour se réfugier dans la vieille ville, où nous les prîmes en chasse.
Ce fut une traque sauvage et hurlante. Les
soldats de Sigefrid mirent du temps à comprendre leur défaite. Ils restèrent
sur les remparts jusqu’au moment où ils virent leur dernière heure arriver, puis
ils s’enfuirent dans les rues déjà encombrées par les habitants qui fuyaient. Ils
coururent vers les quais et les bateaux. D’aucuns, dans leur folie, voulurent
sauver leurs biens ; ce fut leur perte. Les cadavres jonchaient les
caniveaux. Certaines maisons portaient une croix sur leur porte pour indiquer
que leurs habitants étaient chrétiens, mais il en fallait plus pour arrêter un
soldat
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