Le Chant de l'épée
et
nous croyons qu’elle mène à la joie.
— Je n’adore pas la mort.
— Les chrétiens, si, fit Erik en lorgnant
Pyrlig qui portait sa croix sur sa poitrine.
— Non, répondit celui-ci.
— Alors, pourquoi l’image d’un mort ?
— Notre Seigneur Jésus-Christ est revenu
d’entre les morts, répondit Pyrlig avec véhémence. Il a vaincu la mort ! Il
est mort pour nous donner la vie et a regagné sa vie en mourant. La mort, seigneur,
n’est qu’une porte ouverte sur un autre monde.
— Alors pourquoi la craignons-nous ?
demanda Erik sans vraiment attendre de réponse.
Il contempla de nouveau la rivière où un
navire échoué commençait à sombrer. La Temse charriait des cadavres, tandis que
sur les rives boueuses les fugitifs étaient mis en pièces par les troupes et
les archers saxons. La mort régnait, en ce matin. Les rues empestaient le sang
sous un ciel jaune et rempli de suie.
— Nous te faisions confiance, seigneur
Uhtred, continua-t-il. Tu devais nous amener Ragnar, devenir roi de Mercie et
nous offrir toute la terre d’Anglie.
— Bjorn le Mort avait menti.
— J’avais dit qu’il ne fallait pas
essayer de te duper, dit-il d’un ton grave en se retournant. Mais le comte
Haesten a insisté. Mais toi aussi, tu t’es joué de nous, seigneur Uhtred, car
je crois que tu savais que cet homme n’était pas un prêtre mais un guerrier.
— Il est les deux.
— Tu as menti et nous aussi, mais nous
aurions cependant pu prendre le Wessex ensemble. Et à présent ? À présent,
j’ignore si mon frère survivra.
— Je prierai pour lui, dit Pyrlig.
— Oui, répondit simplement Erik. Fais.
— Et que dois-je faire ? demandai-je.
— Toi ? s’étonna Erik.
— Dois-je te laisser la vie, Erik
Thurgilson ? Ou te tuer ?
— Tu t’apercevras que nous sommes
difficiles à tuer.
— Je te tuerai si je le dois.
Telle était la véritable négociation, dans ces
deux phrases. En vérité, Erik et ses hommes étaient pris au piège et condamnés,
mais les tuer nous aurait obligés à démanteler un redoutable mur de boucliers
et à abattre des hommes désespérés dont l’unique désir serait de nous entraîner
dans la mort avec eux. Je perdrais vingt des miens et j’aurais autant de
blessés. Je ne voulais pas payer ce prix et Erik le savait, tout comme il
savait que je le paierais s’il n’était pas raisonnable.
— Haesten est là ? demandai-je.
— Non, je l’ai vu partir, dit Erik en
montrant l’aval du fleuve.
— Dommage, car il a rompu son serment
envers moi. S’il avait été là, je vous aurais laissé la vie sauve à tous en
échange de la sienne.
Erik me dévisagea un instant, se demandant si
je disais la vérité.
— Alors tue-moi à sa place, dit-il enfin.
Et laisse aller les autres.
— Tu n’as rompu aucun serment envers moi ;
tu ne me dois pas ta vie.
— Je veux que mes hommes vivent, dit Erik
en s’animant soudain. Et ma vie ne vaut guère auprès de la leur. Je paierai, seigneur
Uhtred, en échange de leurs vies et du Maître-des-Vagues.
— Le prix
est-il juste, mon père ? demandai-je à Pyrlig.
— Qui peut décider de la valeur d’une vie ?
répondit-il.
— Je le puis, répondis-je. Voici ce qu’il
en est, continuai-je pour Erik. Tu laisseras sur ce pont armes, boucliers, cottes
de mailles et casques. Ainsi que vos bracelets, chaînes, broches, pièces et
boucles de ceinture. Tout ce qui est de valeur, Erik Thurgilson, et vous
pourrez prendre le navire que je déciderai de vous donner.
— Celui que tu choisiras.
— Oui.
— J’ai construit le Maître-des-Vagues pour mon frère, dit-il avec un sourire triste. J’ai trouvé sa quille dans la
forêt. C’était un chêne au tronc droit comme une rame, que j’ai moi-même abattu.
Il nous a fallu onze autres chênes, seigneur Uhtred, pour les bordages, la
coque et la charpente. Je l’ai calfaté avec les poils de sept ours que j’ai
tués de ma lance et j’ai façonné les clous dans ma forge. Ma mère a cousu la
voile, j’ai tressé les cordages et je l’ai consacrée à Thor en sacrifiant un
cheval que j’adorais et en répandant son sang sur la coque. Il nous a portés, mon
frère et moi, dans les tempêtes, les brouillards et les glaces. Il est
magnifique. J’aime ce navire.
— Tu l’aimes plus que ta vie ?
— Non, dit-il après un temps de réflexion.
— Alors ce sera le navire de mon choix, m’entêtai-je.
Et cela aurait
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