Le Chant de l'épée
la lettre à Pyrlig et ajoutai
laborieusement une phrase : « Sigefrid a été vaincu par Osferth, qui
aimerait que je le garde auprès de moi comme soldat. »
Pourquoi écrivis-je cela ? Je n’aimais
pas plus Osferth que je n’aimais son père, mais il avait sauté du bastion et
fait preuve de courage. Imprudent, peut-être, mais courage tout de même. Et n’eût
été cela, Lundene serait peut-être encore dane ou norse à ce jour. Osferth
avait mérité sa place dans le mur de boucliers, même s’il n’aurait guère espoir
d’y survivre.
— Le père Pyrlig, dis-je à Osferth, fera
au roi récit de tes actions de ce jour, et cette lettre demande que tu
reviennes auprès de moi. Mais tu dois laisser Alfred en décider.
— Il refusera, répondit Osferth d’un ton
boudeur.
— Le père Pyrlig l’en persuadera.
Le Gallois haussa un sourcil interrogateur et
je lui confirmai d’un signe de tête que j’étais sincère. Je confiai la lettre à
Sihtric, qui plia le parchemin et le scella à la cire. Puis j’y appuyai mon
insigne à tête de loup et confiai la lettre à Pyrlig :
— Raconte à Alfred la vérité sur cette
bataille, car mon cousin lui en fera un récit bien différent. Et fais diligence !
— Tu veux que nous atteignions le roi
avant l’arrivée du messager d’Æthelred ? sourit Pyrlig.
— Oui.
J’avais appris la leçon par le passé : les
premières nouvelles sont souvent la version que l’on croit. Je ne doutais pas
qu’Æthelred enverrait à son beau-père un message triomphant où notre rôle dans
la bataille serait réduit à rien. Le père Pyrlig ferait en sorte qu’Alfred
entende la vérité. Mais qu’Alfred le croie, c’était une autre affaire.
Pyrlig et Osferth
partirent avant l’aube sur deux des nombreux chevaux que nous avions pris à
Lundene. Je fis le tour des murailles alors que l’aube se levait et notai ce
qui devait être réparé. Mes hommes montaient la garde. La plupart étaient de la
fyrd du Berrocscire, qui avait combattu sous Æthelred la veille, et la joie d’une
victoire apparemment facile ne les avait pas quittés.
Quelques-uns des hommes d’Æthelred étaient
aussi postés sur les remparts, mais la plupart se remettaient de leurs
beuveries d’ale et d’hydromel de la veille. À l’une des portes nord, qui
donnait sur les collines voilées de brume, je retrouvai Egbert, le vieux soldat
qui avait cédé aux exigences d’Æthelflæd et m’avait donné ses meilleurs hommes.
Je le récompensai d’un bracelet d’argent pris sur un cadavre. Ils étaient
nombreux à attendre d’être enterrés, et corbeaux et milans se régalaient.
— Je te remercie, lui dis-je.
— J’aurais dû te faire confiance, répondit-il
gauchement.
— Tu l’as pourtant fait.
— À cause d’elle, oui.
— Æthelflæd est encore là ?
— Oui, sur l’île.
— Je pensais que tu la gardais.
— Le seigneur Æthelred m’a fait remplacer
hier soir.
Je remarquai qu’il ne portait plus la chaîne d’argent,
insigne de sa charge. Il haussa les épaules comme s’il ne comprenait pas la
décision :
— J’ai reçu ordre de venir ici, mais
quand je suis arrivé il n’a pas voulu me recevoir. Il était malade.
— Gravement, j’espère ?
Un demi-sourire passa fugitivement sur ses
lèvres.
— Il vomissait, m’a-t-on dit. Ce n’était
probablement rien.
Mon cousin s’était attribué le palais au
sommet de la colline de Lundene tandis que je logeais dans la maison romaine au
bord du fleuve. J’ai toujours aimé les demeures romaines, car leurs murs savent
protéger du vent, de la pluie et de la neige. Elle était vaste. On y entrait
par une arche donnant de la rue sur une cour entourée d’une colonnade. Sur
trois côtés se trouvaient de petites pièces qui devaient servir de greniers ou
de logements pour les serviteurs. L’une, la cuisine, possédait un four à pain
en brique, si grand que l’on aurait pu y cuire d’un coup une fournée suffisante
pour nourrir trois équipages. Le quatrième côté menait à six pièces, dont deux
assez vastes pour accueillir toute ma garde personnelle. Derrière s’étendait une
terrasse dallée donnant sur le fleuve et agréable le soir, malgré l’odeur
pestilentielle de la Temse en basses eaux.
J’aurais pu rentrer à Coccham mais je restai, tout
comme les hommes de la fyrd de Berrocscire, qui étaient désolés parce que c’était
le printemps et qu’il y avait à faire
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