Le Chant de l'épée
instant
qu’Æthelred allait me frapper, tant son visage était déformé par la rage ;
mais il se contint, tourna les talons et s’éloigna à grandes enjambées. Aldhelm
courut derrière lui et parvint à conférer avec lui. Je vis mon cousin répondre
d’un geste méprisant, puis Aldhelm se retourna vers moi.
— Tu feras ce que tu estimes le mieux, cria-t-il
avant de suivre son maître jusqu’à l’arche, où le mur de boucliers s’écarta de
nouveau pour leur livrer passage.
— C’est ce que je fais toujours, répondis-je
pour moi-même.
— Quoi donc ? questionna Pyrlig.
— Ce que j’estime le mieux. Quelle mouche
l’a piqué ?
— Il n’aime pas que d’autres hommes
parlent à son épouse, expliqua le Gallois. Je l’ai remarqué quand j’étais sur
le navire avec eux. Il est jaloux.
— Mais je connais Æthelflæd depuis
toujours ! m’exclamai-je.
— Il craint que tu ne la connaisses que
trop bien et cela le rend fou.
— C’est idiot !
— C’est de la jalousie, et toute jalousie
est stupide.
Erik, qui avait assisté à la scène, était tout
aussi perplexe que moi.
— C’est ton chef ? me demanda-t-il.
— C’est mon cousin, répondis-je avec
mépris.
— Et c’est ton chef ?
— Le seigneur Æthelred commande, expliqua
Pyrlig, et le seigneur Uhtred désobéit.
Cela fit sourire Erik.
— Eh bien, seigneur Uhtred, avons-nous
conclu accord ? interrogea-t-il dans un anglois à peine hésitant.
— Tu parles fort bien cette langue, lui dis-je,
surpris.
— Une esclave saxonne me l’a enseignée.
— J’espère qu’elle était belle. Et nous
avons conclu accord, en effet, mais j’en change un terme.
Erik se raidit, mais resta courtois.
— Un terme ? demanda-t-il prudemment.
— Tu peux prendre le Maître-des-Vagues, dis-je.
Je crus qu’il allait m’embrasser. Il resta un
instant incrédule mais, voyant que j’étais sincère, il me fit un grand sourire.
— Seigneur Uhtred…, commença-t-il.
— Prends-le, coupai-je. Prends-le et va !
C’étaient les paroles d’Aldhelm qui m’avaient
fait changer d’avis. Il avait raison : tout dans cette ville appartenait
désormais à la Mercie, dont Æthelred était maintenant le maître. Je connaissais
son goût pour les belles choses, et s’il avait découvert que je voulais le
navire pour moi, il n’aurait pas manqué de me le prendre. Et en rendant le Maître-des-Vagues aux frères Thurgilson, je le soustrayais à sa cupidité.
On transporta Sigefrid sur son navire. Les
Norses, dépouillés de leurs armes et de leurs biens les plus précieux, montèrent
sur le Maître-des-Vagues escortés par mes soldats. Il fallut longtemps, mais
quand ils furent tous à bord et s’éloignèrent du quai, je les regardai ramer
vers les brumes qui flottaient sur l’estuaire.
Et quelque part en Wessex, le premier coucou
chanta.
J’écrivis une lettre
à Alfred. J’ai toujours détesté écrire, et cela fait des années que je n’ai usé
d’une plume. Ce sont désormais les prêtres de mon épouse qui rédigent les
lettres pour moi ; cependant, ils savent que je sais lire et prennent
garde de bien écrire ce que je leur dicte. Mais la nuit de la prise de Lundene,
j’écrivis de ma propre main : « Lundene est tienne, seigneur, et j’y
demeure pour en rebâtir les murailles. »
Ces quelques mots suffirent à épuiser ma
patience. La plume éclaboussait le parchemin inégal, et l’encre, que j’avais
trouvée dans un coffre de bois contenant le butin du pillage d’un monastère, laissa
des taches sur toute la page.
— Va mander le père Pyrlig et Osferth, dis-je
à Sihtric.
— Seigneur…
— Je sais, m’impatientai-je. Tu veux
épouser ta catin. Mais va d’abord les chercher. Ta catin attendra.
Pyrlig arriva peu après et je lui montrai la
lettre.
— Je veux que tu ailles trouver Alfred et
lui donnes cela, et que tu lui narres ce que nous avons fait ici.
Pyrlig lut le message et je surpris sur son
visage un petit sourire qui disparut aussitôt pour que je ne prenne pas ombrage
de son opinion sur mon écriture. Il ne fit point de remarque, mais considéra
avec surprise Sihtric qui amenait Osferth.
— Je renvoie le frère Osferth avec toi, expliquai-je.
Osferth se raidit : il détestait qu’on l’appelle
frère.
— Je veux rester ici, seigneur.
— Le roi te veut à Wintanceaster, répondis-je
d’un ton désinvolte, et nous obéissons au roi.
Je repris
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