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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Elle serra les dents en découvrant l'œil tuméfié, l'arcade gonflée, les fils qui prenaient la paupière sur le côté extérieur et la rattachaient à la tempe. Elle contrôla le tremblement de ses doigts pour lui tendre son face-à-main. À senestre.
    Mathieu s'examina longuement sans mot dire.
    — On l'a tué, tu sais, il pourrit devant la porte et je crache dessus tous les matins, lâcha son frère.
    Mathieu leva la tête et soudain, contre toute attente, éclata d'un rire qui les figea plus sûrement qu'un sanglot.
    — A vous voir pareille mine, j'ai cru que j'étais défiguré. C'est juste une estafilade ! se moqua-t-il de lui-même en reposant le miroir sur la courtepointe.
    Ils ne voulurent pas le détromper. D'autant qu'il se levait et s'étirait comme si de rien n'était.
    — J'ai une faim de loup. Je suis sûr que maître Janisse a de quoi la sustenter.
    — Laisse-moi te refaire…
    Méprisant la rigidité de ses doigts, comme, sans doute, sa douleur, Mathieu l'enlaça de son bras droit et l'attira à lui.
    — Rien du tout. Je me sens parfaitement bien. Tu veux parier qu'ils attendent tous que je sorte ? Qu'ils voient donc. Il n'est rien de meilleur que l'air pur pour sécher les plaies. Allons découvrir cette méchante bête, ajouta-t-il en froissant la tignasse de son frère.
    — Tu vas cracher dessus toi aussi ?
    — Pisser me conviendrait mieux en vérité. Ma vessie va éclater. Bon sang, Algonde, depuis combien de temps ne t'ai-je pas bisée ?
    — Trois jours, lui répondit son père qui, comme Algonde, n'aimait pas cette insouciance que le jouvenceau affichait.
    Il n'était pas bien difficile de deviner la détresse derrière l'orgueil.
    Tous trois sortirent et, sous le regard de ceux qui le connaissaient depuis l'enfance et attendaient, comme il l'avait prédit, qu'on leur donne des nouvelles, Mathieu se débraguetta de sa main gauche devant le cadavre de l'épervier.
    Il pissa allègrement en regardant le ciel, sous le rire des badauds, et Algonde dut se faire violence pour maîtriser ces sanglots qui lui battaient la gorge avec la certitude que quelque chose en lui s'était irrémédiablement brisé.
     
    Il parada la journée durant, faisant à qui voulait l'entendre le récit de son aventure, montrant ostensiblement ses cicatrices, tant qu'au soir venu sa langue était sèche, ses plaies légèrement sanguinolentes et son œil valide brûlant d'avoir dû compenser. Il ne s'en plaignit pas pourtant et assura même au sire Dumas qu'il serait à même de reprendre l'entraînement à la Bâtie dès qu'on lui enlèverait ses points.
    — Dès demain, je retourne dans les lices. Il est grand temps que ma senestre apprenne ce que la droite sait, ajouta-t-il dans un nouvel éclat de rire.
    Sire Dumas n'osa rien lui répondre. Tous firent semblant. Mathieu en faisait trop. Et ce trop, à l'inverse de ce qu'il voulait, était bien plus pitoyable que la triste vérité.
     
    — Ne veux-tu pas qu'on en parle ? essaya Algonde comme elle le raccompagnait chez son père après avoir soupé avec lui et maître Janisse en cuisine.
    Le maître-queux était sans doute le seul au château à avoir été dupe tant il les aimait tous deux. La nuit était tombée et le couvre-feu ne tarderait plus. Il se planta devant elle.
    — Ce n'est pas de parler dont j'ai envie avec toi.
    — S'il te plaît, essaya-t-elle.
    Il se rembrunit.
    — Je peux m'accommoder de tout, Algonde, si toi tu m'aimes comme avant.
    Elle se jeta dans ses bras.
    — Tu mens, tu mens, mais je ferai comme tu voudras.
    Il chercha l'ombre de la tour, balaya de son œil unique l'obscurité. Personne. Dans le modeste logis de son père, la chandelle était mouchée déjà. Il l'adossa au mur et lui releva les jupons en ricanant :
    — Tu vois. Je me débrouillerai toujours pour que tu jouisses de moi.
    Il lui fit mal. Trop gauche, trop pressé, trop malheureux. Comme lui tantôt, elle fit semblant jusqu'à ce qu'il se rajuste.
    — Je t'aime, Algonde. Je ne veux pas que tu t'inquiètes pour moi. Tout va bien à présent. Alors, rentre chez toi, tu as besoin de dormir, la congédia-t-il avec un dernier baiser dans le pli du cou.
    Elle hocha la tête. Elle était épuisée. Il se détourna en sifflotant. Crâne. Un rayon de lune éclaira la silhouette macabre de l'épervier. Un instant, dans cette lumière et cette rigidité que lui conférait l'empalement, on l'eût pu croire vivant, attendant son heure. Mathieu ne lui

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