Le Chant des sorcières tome 1
ramasser.
Depuis, le rapace se décomposait dans la cour. La pointe d'une lance avait remplacé la flèche et le maintenait à la verticale devant la maison du panetier où, lentement et grâce à la médication de la sorcière, Mathieu se remettait. Algonde ne l'avait pas quitté. Philippine à peine. Non seulement elle avait donné congé à sa chambrière, mais elle la rejoignait sitôt son matinel avalé. Ni le baron ni Sidonie n'avaient eu le cœur de lui rappeler que ce n'était pas la place d'une damoiselle, tant elle trouvait sa démarche légitime. N'avait-elle pas une certaine expérience des blessés ?
Dans moins d'une semaine à présent, Algonde devait épouser Mathieu. Gersende avait refusé de repousser la date. Attendant comme tous au château que la gourde de peau soit vide et que le jouvenceau ouvre l'œil qui lui restait.
C'était ce jourd'hui et Algonde, qui lui avait versé la dernière goutte une heure plus tôt, se tordait les mains. Elle était exténuée de n'avoir pas dormi depuis trois jours. Gersende avait proposé de la relayer, mais elle l'avait repoussée. Elle seule, avait dit la sorcière. Persuadée qu'il y avait une raison à cela, Algonde s'était interdit de flancher. Elle ne quittait le jouvenceau que lorsque ses besoins naturels l'y contraignaient.
Une pression sur ses doigts. Un tressaillement du bras. Le cœur d'Algonde se serra.
— Soif… fut le premier mot de son promis.
Philippine saisit une autre gourde emplie d'eau pure et la tendit à Algonde avant de s'effacer sur la pointe des pieds. Ce moment-là leur appartenait. Elle ne voulait pas le leur prendre. Il lui suffisait bien d'avoir insisté auprès de son père pour que Mathieu reste à Sassenage lorsqu'ils en repartiraient. C'était aussi la requête du maître panetier. Le baron s'était rangé à leurs arguments. Le handicap de Mathieu ne trouverait pas sa place dans la soldatesque. Ici, il aiderait son père. D'une manière ou d'une autre. Jacques avait suggéré à Philippine de se séparer d'Algonde. Il ne manquait pas de jouvencelles qui se verraient honorées de la remplacer. Philippine avait tenté de faire preuve de compassion et de charité. Mais cela lui était si insupportable qu'elle y avait renoncé pour l'instant. Elle s'en voulait. Amèrement. Et espérait de tout son cœur que la prière l'aiderait le moment venu à trouver la force qui lui manquait pour les laisser ensemble et en paix.
— Soif, répéta Mathieu, avant de sentir le bec verseur de la gourde lui effleurer les lèvres.
Il s'en régala à longues goulées tandis qu'Algonde lui maintenait la tête surélevée. Lorsqu'il voulut repousser l'objet de sa main droite pour signifier qu'il en avait assez, le bandage crissa sur sa barbe. Il ouvrit les yeux de surprise et balaya le visage d'Algonde au-dessus de lui. La mémoire lui revint aussitôt. Aidée sans doute par cette vision partielle.
— L'épervier… C'est vraiment arrivé, n'est-ce pas ?
Elle hocha la tête, voulut déposer un baiser sur ses lèvres, mais il les détourna.
— Je veux voir.
— C'est trop tôt, Mathieu.
— Va me chercher un miroir… S'il te plaît, Algonde, insista-t-il.
Elle se leva, résignée. Aujourd'hui ou demain, quelle importance !
Elle sortit de la maison basse, attenante au fournil, cligna des yeux au soleil de midi. Jean se précipita aussitôt, essuyant ses larges mains sur son tablier.
— Il est réveillé, dit-elle.
Le panetier héla son cadet qui immobilisa son geste. Ils pénétrèrent ensemble dans la masure et soulevèrent la tenture derrière laquelle ils dormaient tous trois. Tous trois et Algonde depuis que c'était arrivé. Sans un regard pour l'épervier qu'elle avait condamné, cette dernière se pressa jusqu'à l'intérieur du donjon, non sans répondre par l'affirmative à tous ceux qu'elle croisa et qui, comme elle, avaient compté les jours au calendrier de la sorcière.
Lorsqu'elle revint, Mathieu était assis sur le bord du lit et avait défait le pansement à sa main. Un silence de mort plombait les trois hommes tandis qu'il examinait la blessure. Les chairs s'étaient recollées autour des fils que la sorcière avait cousus. La cicatrice n'était pas vilaine, mais, comme la vieille femme l'avait supposé, les doigts ne répondaient plus. Le panetier s'écarta pour laisser passer la jouvencelle.
Algonde s'appliqua avec délicatesse à dérouler le second bandage. Elle aussi avait besoin de savoir.
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