Le Chant des sorcières tome 1
et de se remplir les yeux de ses gens, indifférente au nuage de poussière que soulevaient les roues et le trot des chevaux de l'escorte sur la route trop sèche.
Elle finit par se rabattre à l'intérieur, prise d'une méchante quinte de toux qui réveilla Sidonie en sursaut.
— Tudieu, s'exclama celle-ci en la découvrant toussant et éternuant, décoiffée, les yeux irrités, les joues en feu du soleil qui s'y était imprimé autant que de l'effort qu'elle produisait.
Peinant de longues minutes à reprendre son souffle, la jouvencelle finit par se moucher dans le carré de coton que Sidonie lui tendait, au moment où elles franchissaient les hautes tours du corps de garde.
C'est ainsi que Philippine de Sassenage, dite Hélène, fut de retour chez elle. Avant qu'elle ait pu remettre de l'ordre dans sa mise, sa portière s'ouvrait dans la cour du luxuriant château octogonal sur une fillette espiègle. Sa sœur Claudine grimpa lestement le marchepied, pensant accueillir celle qu'elle avait adoptée comme sa mère. Claudine trouva Sidonie attentive à soulager cette pauvre chose qui larmoyait et s'exclama, soudain furieuse d'une jalousie légitime :
— Mais qu'avez-vous en tête, maman ? Cette souillon vous donnera des puces si vous la gardez !
— Cette souillon est votre sœur, dit Sidonie en éclatant d'un rire joyeux, et si vous ne lui faites pas des excuses sur-le-champ, à défaut de puces, c'est une fessée que vous aurez !
Un moment sans voix, la fillette examina cette damoiselle, poisseuse de poussière aux cheveux et au visage, et, davantage décidée par la menace que par le respect, choisit de composer :
— Je veux bien l'accepter comme telle, maman, mais s'il me faut l'embrasser, j'attendrai qu'elle se soit lavée !
Pour toute objection, Philippine, qui se remettait enfin, attrapa sa sœur par la manche, la plaqua sur la banquette malgré ses protestations énergiques et la chatouilla tant qu'elle se tortilla de rire avant de demander pitié. L'instant d'après, relâchée, Claudine se jetait sur Philippine pour se venger. La nourrice parvenue à la porte de la litière les découvrit toutes deux mêlées par un fou rire qui avait gagné Sidonie, Dumas et jusqu'au voiturier.
— Claudine ! Voyons ! s'indigna la Marie.
— Laissez-les donc faire connaissance, objecta Sidonie en descendant de voiture.
— Tout de même… À son âge !
— Elle n'a que sept ans, Marie…
— Je ne parlais pas de damoiselle Claudine, madame…
Le rire de Sidonie repartit de plus belle. Elle avait craint en la découvrant aussi éteinte dans l'hospice que Philippine ne soit longue à recouvrer sa gaieté. Comment expliquer alors à la nourrice que cette joute lui réchauffait l'âme et qu'une fois de plus, elle se moquait bien que les convenances ne soient pas respectées ?
— Je vous souhaite la bienvenue, la sauva Marthe en se plantant devant elle.
Sidonie reprit son sérieux devant celui de sa chambrière.
— Mes ordres ont-ils été respectés ?
— J'y ai personnellement veillé, affirma Marthe en courbant la tête.
— Puis-je me retirer ? demanda à son tour le sbire Dumas, qui avait relaxé ses hommes à peine la herse franchie et venait de remettre la bride de son cheval au palefrenier.
Sidonie le lui accorda volontiers. Elle allait faire de même avec le conducteur, jugeant que la petite Claudine avait assez joué, lorsque la fillette descendit de la voiture, aussi dépenaillée que possible, Philippine sur ses talons, du bonheur plein les yeux. Marie étouffa un cri courroucé, auquel la voix fluette répondit à la volée :
— Eh bien, moi, je vous le dis, maman, cette sœur-là, elle plaira pas à monsieur le curé !
Forte de ce constat, Claudine se laissa entraîner par sa nourrice, laquelle jura qu'on allait la rendre folle et qu'on en serait bien embêté, ce qui eut pour effet immédiat sur la fillette de lui faire tourner la tête et adresser à sa sœur un clin d'œil chargé de promesses.
Philippine lui répondit par un signe de la main qui se figea lorsqu'elle remarqua Marthe aux côtés de Sidonie. Elle l'avait déjà vue dans le sillage de sa cousine et se désola de constater qu'elle y était restée. Ce n'était pas tant sa laideur qui venait de la glacer, mais la noirceur de son regard posé sur elle, fourbe et cruel. Philippine s'empressa de chasser cette désagréable sensation devant le visage réjoui de Sidonie. Si sa cousine s'en
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