Le Chant des sorcières tome 1
sur le manteau était celui de Mélusine. Et pourtant, c'était le sien qu'Algonde y voyait : même visage long aux pommettes hautes, même bouche gourmande. Même regard facétieux, même tresse châtaine ramenée sur la poitrine.
La main de sa mère avait accroché la sienne et leurs regards s'étaient rejoints.
C'était Algonde qui avait brisé le silence la première.
— J'ai vu Mélusine, mère. Je l'ai vue lorsqu'elle m'a sauvée. Ce n'est pas elle, ce n'est pas moi…
— Je sais, avait coupé Gersende à voix basse, pour ne pas que le vigile sur la terrasse puisse percevoir leur échange. J'ai les jambes qui flageolent, allons nous asseoir. J'ai beaucoup de choses à te raconter.
Elles s'étaient installées face à face sur la courtepointe poussiéreuse et fanée.
— Ce portrait est bien celui de Mélusine, avait commencé Gersende en guise de préambule, tel qu'il fut peint de son vivant et commandé par Raymondin…
— Mais…
L'objection d'Algonde s'était effacée devant le regard comminatoire de sa mère. Celle-ci avait enchaîné :
— Celle que tu as rencontrée a certainement été rendue méconnaissable par les siècles passés dans les eaux du Furon. De fait, l'histoire de Mélusine commence bien avant son mariage avec Raymondin, fils cadet du comte du Forez, ancêtre des Sassenage. Elle commence avec celle d'une race. La race des fées. As-tu entendu parler de la légende de Bretagne ?
— Celle du roi Arthur et de l'enchanteur Merlin ?
— Celle-là même.
— Le ménestrel qui est venu l'hiver dernier l'a chantée, se souvint Algonde, qui ne voyait pas quel rapport il pouvait exister entre ce poème et cet étrange portrait.
— Sur l'île d'Avalon cohabitaient les êtres de lumière, comme Merlin, qui détenaient le savoir originel, les druides et les prêtresses, mortels chargés de l'enseigner aux peuples de la terre, des créatures serviles comme les elfes, les gnomes et les lutins, maléfiques comme les Harpies, ou encore les fées, immortelles de nature, ainsi que les Harpies, mais généreuses, bienfaitrices et d'une beauté qui surpassait de loin toutes les autres. Parmi leurs nombreux pouvoirs se trouvait celui d'invisibilité qui leur permettait d'aller et venir dans le monde des humains sans que ceux-ci s'en doutent. De nombreux hymens avaient eu lieu pourtant, si désastreux que Merlin interdit aux fées de quitter l'île et de succomber de nouveau au charme d'un homme, sous peine d'être bannies à jamais. De fait, la puissance de l'Église s'étendait partout, transformait les lieux païens en sanctuaires divins et repoussait peu à peu les anciens cultes aux frontières de l'imaginaire. Les fées n'avaient plus leur place dans cette réalité austère. Elles acceptèrent donc ce que Merlin leur imposait, tandis que la grande prêtresse d'Avalon tentait de préserver ses anciennes alliances et d'en conquérir de nouvelles pour que la porte entre les deux mondes ne soit jamais refermée. Il y eut une fée, pourtant, qui refusa de se résigner…
— Mélusine, était intervenue Algonde, soudain passionnée.
— Non, sa mère, Présine. Le peuple des humains la fascinait. Elle ne perdait aucune occasion de se faire raconter ce qui se passait autour de l'île. Un jour, apprenant que le roi d'Écosse désirait s'entretenir avec la grande prêtresse, Présine se dissimula derrière une tenture du palais pour l'apercevoir. Le roi Elinas lui plut tant qu'elle en tomba amoureuse, au point, lorsqu'il revint la semaine suivante, de se révéler à lui dans la forêt qu'il traversa. Elle usa de mensonge, se fit passer pour une dame celte de haut lignage née avec la faculté de prophétie. Elle ajouta que ce don de Dieu ayant inquiété en Avalon où l'on se prétendait seul capable de le ressentir, on la tenait depuis séquestrée dans l'île. Sa beauté et sa ferveur la rendirent si convaincante qu'Elinas en fut aussitôt épris et ne songea plus qu'à la délivrer. Présine trompa la vigilance de Merlin, et rejoignit Elinas hors d'Avalon, dans la chapelle de Canterbury où ce dernier l'attendait pour l'épouser. Lorsque Merlin réalisa que Présine les avait dupés, il était trop tard, le mariage était consommé. Il se contenta de mettre en garde Présine sur les conséquences de ses actes et de lui faire jurer de ne jamais avouer qui elle était en vérité. La fée accepta tout ce qu'on voulut, y compris de regagner l'île et de se faire passer pour
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