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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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la piété nécessaire. Lors, elle l'aurait désignée à sa succession et la jouvencelle aurait compris pourquoi Albrante et elle l'avaient privée de la caricature d'une mère. Elle aurait compris que la place de Jeanne de Commiers n'avait été et ne pourrait être nulle part ailleurs qu'ici, à l'abri des hommes. À l'abri d'elle-même. Elle avait espéré. Elle s'était trompée. Philippine de Sassenage était faite pour le mariage, comme sa mère avant elle. Trop légère, trop insouciante. L'abbesse n'aurait pu avoir confiance. Quel que soit l'amour qu'on pouvait lui porter, s'occuper de Jeanne de Commiers était un lourd fardeau. Aucune de ses filles ne pourrait le partager. Sa décision était prise désormais. Si Sidonie se taisait, l'abbesse mourrait avec son secret, et Jeanne serait prise en charge par la communauté. C'était mieux ainsi. Pour tous.
    En revenant vers l'hospice, les bras ballants et le pas traînant, sœur Albrante leva les yeux vers le dernier étage de la tour austère, réservé à Jeanne de Commiers. L'abbesse ne se déroba pas au regard de l'infirmière. Leur peine, elle le savait, était semblable. Albrante avait seulement eu le courage de la montrer.
    — Que veut dire convoler, madame ? s'enquit sa protégée.
    Le temps n'était plus aux regrets.
    Elle se retourna vers la femme-enfant qui lui souriait, installée comme à son habitude dans ce fauteuil, dans cette pièce qu'elle ne quittait jamais. Malgré ses trente-cinq ans, elle paraissait en avoir quinze tant elle était menue. Le portrait de Philippine. Voyant que l'abbesse ne répondait pas, Jeanne oublia sa question et lui tendit son ouvrage :
    — Voyez, je n'ai presque pas débordé.
    L'abbesse sentit son cœur se broyer. Sur le canevas, la rose qu'elle était censée broder n'était qu'un entrelacs de points désordonnés, un bouquet d'épines qui ne s'ouvrirait plus jamais.
     

11
    Tandis que la litière cahotait sur le chemin au pas lent des chevaux qui la portaient, Philippine raconta tout à Sidonie. Sa conversation avec Laurent de Beaumont et Philibert de Montoison dans le verger, le duel, sa punition, son égarement dans sa cellule, sa nausée à leur chevet, le refus de l'abbesse de la revoir, l'affection de sœur Albrante. Son soulagement à quitter l'abbaye et sa déchirure enfin pour cette part d'elle qu'elle y laissait.
    — On abandonne toujours un peu de soi en grandissant, assura Sidonie avant d'ajouter, vive et enthousiaste, en clignant d'un œil complice : Le temps passant, on s'aperçoit que ce n'était pas la meilleure. Alors autant s'en débarrasser très vite, d'autant que ces deux-là se remettront et que sous peu, pour une autre comme pour toi, ils se chercheront querelle à nouveau.
    Philippine se récria :
    — C'est aussi ce que m'en a dit sœur Albrante. Est-ce donc la seule manière qu'ont les hommes pour se faire aimer ?
    Sidonie éclata de ce rire de gorge qui cascadait, pur et généreux :
    — Celle-là et bien d'autres, tu peux m'en croire. En matière de manigances et d'amour, ils ne sont jamais à court d'idées. Vois-tu, ma Philippine…
    — Hélène, coupa la susnommée. C'est ainsi qu'il faut m'appeler désormais, en mémoire de ma mère qui dans son dernier souffle m'a rebaptisée.
    — Hélène… Cela sonne bien à ton teint et à tes mérites. Sais-tu qu'il en est une autre de grande renommée, une Grecque dont la beauté fut néfaste à ceux qui l'entouraient ?
    — Je l'ignorais… En ce cas…
    — Ne change rien, la rassura Sidonie en posant une main baguée sur son poignet. (Sa voix s'enroua tandis qu'elle ajoutait, l'œil triste :) J'aimais sincèrement ta mère. Elle se montra avec moi douce et compréhensive. Pas une fois elle ne m'a fermé sa porte, refusé son aide, voire son épaule. Elle possédait ce don précieux de savoir lire au cœur des êtres. Les médisances lui étaient indifférentes.
    — Étaient-elles fondées ? demanda Philippine sur ce ton de confidence qu'avait initié Sidonie.
    — Sans doute, répondit sa cousine dans un haussement d'épaules. J'avais ton âge lorsqu'on m'a jetée dans le lit de mon époux. Il était laid, gras, il puait la sueur et la vinasse. Je ne savais rien du mariage. Je m'y suis faite comme d'autres, sans pour autant l'accepter. Là fut ma faute. Mon époux fut conciliant parce que pervers. Me regarder en pleins ébats avec un autre l'excitait…
    Sidonie se tut, alertée par le fard piqué aux joues de

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