Le Chant des sorcières tome 3
réfléchi puis m'a sorti ces trois livres. Je n'ai pu hélas, pas plus que lui, réussir à les déchiffrer. Peut-être le pourras-tu… espéra Bayezid en invitant d'un geste Mounia à se pencher sur l'écriture cursive.
Le visage de celle-ci s'éclaira aussitôt tandis que son index suivait les déliés de la plume.
— C'est du grec. Il s'agit de l'histoire détaillée de l'Égypte, écrite par un certain Manéthon qui vécut à Héliopolis au troisième siècle avant notre ère, s'enflamma-t-elle en relevant les yeux.
Bayezid s'inclina, la main sur le cœur. Son érudition confirmait à elle seule les dires de Mounia. Il lui sourit avec bienveillance.
— Mes affaires me demandent ailleurs. Mustapha se tiendra à ta disposition. Prends le temps qu'il faudra en ces lieux. Quant à moi, je t'attendrai en ma couche à la nuit tombée. Si tu n'y viens pas…
— J'y viendrai, le coupa-t-elle en lui prenant la main pour la baiser.
Il n'était plus pour elle question de fuir. Bayezid l'avait compris qui, avec la connaissance, lui offrait la liberté. Elle le regarda s'éloigner le long de l'allée centrale, adoucie soudain de sa générosité avant de se reprendre.
« Ne t'y trompe pas, se fustigea-t-elle, cet être n'hésiterait pas à trancher la tête de son frère s'il reparaissait, et la tienne si tu le trahissais. »
Forte de cette certitude, elle tira un tabouret de dessous la table et commença de lire ce qui, de toute évidence, constituait un témoignage des temps premiers.
29
La nuit tombait devant eux aussi sûrement que les yeux de Philippine, à demi couchée sur l'encolure. S'ils ne s'arrêtaient pas aussitôt, ce serait elle qui dégringolerait de sa selle. Pourtant, elle refusait de se plaindre et faisait son possible pour demeurer dans le galop de Djem, laissant Nassouh tenir le sien, en arrière-garde. Elle n'aurait pas imaginé en quittant la Bâtie que ce fût si éprouvant, si difficile, et regrettait amèrement ces nuits d'insomnie qui avaient épuisé ses forces jusqu'en ses réserves. À cause d'elle, les haltes se faisaient de plus en plus longues et leur avance s'amenuisait. Djem n'en parlait pas, mais à son visage grave, elle devinait ses doutes d'atteindre au but avant d'être rejoint par les hospitaliers. Elle voulait y croire encore, de toutes ses forces, refusant d'avoir chevauché si loin, d'avoir espéré autant pour retomber finalement dans les griffes du sire de Montoison. Sans compter les conséquences pour Djem.
— Guy de Blanchefort comptait me déplacer dès demain, lui avait-il avoué au dîner, chichement composé d'une tranche de lard grillé et de fruits à la faveur d'un ciel étoilé.
Sans nul doute, s'ils étaient rattrapés, lui et Nassouh seraient bouclés dans un cachot. Guy de Blanchefort ne lui pardonnerait pas de l'avoir doublement trahi.
Philippine redressa le buste. Ne pas y songer. Djem s'inquiétait sans doute pour rien. Il fallait bien que leurs poursuivants dorment eux aussi ! Les hospitaliers n'étaient jamais que des hommes, que diantre !
Djem ralentit progressivement jusqu'à s'écarter de la route et emprunter un petit chemin qui menait à une ferme. Un garçonnet traînait encore dans la cour pour distribuer des épluchures aux cochons. Il leva vers eux un visage inquiet.
— Bien le bonsoir à toi mon garçon, dit Philippine, ragaillardie par l'idée d'une soupe chaude.
Une femme parut sur le seuil, l'air soupçonneuse.
— Que voulez-vous ?
— Rien de mal. Nous sommes des marchands. Auriez-vous un peu de bouillon et un coin d'étable à nous offrir ? Nous vous paierons bien.
Elle détacha une bourse à sa ceinture et la lança au garçonnet, toujours sur ses gardes, qui la rattrapa au vol. D'entendre les écus sonner sous l'étoffe, il se radoucit et se tourna vers sa mère.
— C'est bon.
La femme hocha la tête.
— Débarrassez-vous donc, dit-elle avant de se rencogner dans la maison de pierres sèches.
Tandis que Philippine, descendue de cheval, s'engouffrait sous la porte basse à son tour et que le garçonnet entraînait les bêtes vers l'étable, Djem prit Nassouh à part.
— Les vraies difficultés sont à venir, dit-il en désignant de la tête les crêtes alpines baignées du couchant. Il faut à Hélène un véritable repos, sans quoi nous ne franchirons pas les passes.
— Il nous reste peu d'avance, Djem… Trop peu.
Djem le prit par l'épaule pour l'entraîner vers la maison.
— Je sais
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