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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Elle est la première femme avec qui il se conduit en maître. Il n’est plus le jeune général qu’une femme d’expérience séduisait par ses manoeuvres autant que par son charme et qui lui imposait sa loi. C’est lui, désormais, qui ordonne. Et c’est comme si Bellilote lui révélait que c’est ainsi qu’il aime être. Qu’avec les femmes aussi, il faut se conduire en conquérant. Elle le libère de cette soumission volontaire qui, durant des années, avait fait de lui le soupirant éploré de Joséphine. Fini, cela.
    Pourquoi n’épouserait-il pas Bellilote ? pense-t-il parfois. Car il va divorcer de Joséphine. Il ressent pour elle de la rancune. C’est finalement si simple, si gai d’aimer une femme comme Bellilote !
    Si elle lui donnait un enfant, il n’hésiterait pas à s’unir à elle. « Mais que voulez-vous, dit-il à Bourrienne, la petite sotte n’en peut pas faire. »
    Serait-ce le moment, d’ailleurs ?
    Cette femme le distrait, le satisfait, l’équilibre. Elle préside les dîners, est présente à ses côtés. Les aides de camp lui font escorte. Eugène de Beauharnais s’est insurgé. Il est le fils de l’épouse légitime, a-t-il lancé. Napoléon n’a pas répondu, mais l’a dispensé de ce service. Il ne peut en vouloir à Eugène, bon soldat, aide de camp dévoué. Et Napoléon se refuse à ce que sa vie privée empiète sur les devoirs et les responsabilités de sa charge.
    Joséphine n’a jamais réussi à le faire renoncer à ce qu’il devait faire. Comment Bellilote le pourrait-elle ?
    Une femme peut éclairer ou assombrir son destin mais ce n’est pas une femme qui peut être ce destin.
     
    Il a dû réprimer la révolte d’une partie de la population du Caire. Les hommes ont tué, saccagé, pillé, avec une furie aveugle. Il a fallu pour les réduire ouvrir le feu sur la mosquée Al Azhar. Le général Dupuy a été assassiné, l’aide de camp Sulkowski est tombé à son tour, alors qu’il effectuait une reconnaissance hors du Caire.
    — Il est mort, il est heureux, lance Napoléon.
    Une fureur intérieure, que seules sa pâleur et sa nervosité révèlent, l’habite.
    — Je suis surtout dégoûté de Rousseau, lance-t-il. L’homme sauvage est un chien.
    Près de trois cents Français ont été tués, et sans doute deux à trois mille insurgés ont péri. Il faut maintenant sévir, ordonner qu’on tranche les têtes dans la citadelle et que les corps décapités soient jetés dans le Nil, cependant que les soldats pillent et molestent, tuent.
    Et il faut alors retenir le bras vengeur, s’opposer aux officiers et aux soldats qui veulent « livrer sans exception au trépas ceux dont les yeux avaient vu se replier des compagnies de Français ».
    Voilà ce que demandent les troupes et qu’il faut refuser, parce qu’on ne peut seulement tenir un peuple par la terreur. Ne l’ont-ils pas compris ? Napoléon reçoit les notables au lendemain de la révolte. Ils s’agenouillent. Il les dévisage. Ces hypocrites jouent la soumission alors qu’ils ont excité le peuple à s’insurger.
    — Chérifs, ulémas, orateurs des mosquées, leur dit-il ; faites bien connaître au peuple que ceux qui, de gaieté de coeur, se déclareraient mes ennemis n’auront de refuge ni dans ce monde ni dans l’autre… Heureux ceux qui, de bonne foi, sont les premiers à se mettre avec moi…
    Il les fait se relever.
    — Il arrivera un jour où vous serez convaincus que tout ce que j’ai fait, poursuit-il, et tout ce que j’ai ordonné, m’était inspiré par Dieu. Vous verrez alors que, même si tous les hommes se réunissaient pour s’opposer aux desseins de Dieu, ils ne pourraient empêcher l’exécution de ses arrêts, et c’est moi qu’il a chargé de cette exécution…
    — Ton bras est fort et tes paroles sont de sucre, lui disent-ils.
    C’est le langage qu’il doit tenir et qui ne doit pas le griser.
     
    Et cependant, à chaque pas qu’il fait, l’Histoire est si présente qu’elle l’enivre. Il reçoit sous sa tente les marchands du Yémen, dont les caravanes vont jusqu’aux Indes. Il traite avec les Bédouins. Il se rend aux sources de Moïse, là où, des falaises du Sinaï, jaillit de l’eau douce.
    Il est sur ces terres où s’est forgée la religion des hommes. Il traverse lui aussi la mer Rouge, et la marée, tout à coup, le surprend avec son escorte. Les chevaux doivent nager dans la nuit qui tombe. Ils sont comme les soldats de l’armée de

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