Le cheval de Troie
le surmontait étincela de tous ses feux.
— J’ai besoin de tes hommes, maintenant !
— Je ne puis m’engager sans l’accord de mon père, seigneur, et je ne l’ai pas.
À court d’arguments, Priam détourna la tête. Dès que nous fûmes seuls, intriguée par cette discussion, j’interrogeai Pâris.
— Qu’y a-t-il donc entre ton père et le prince Énée ?
— Ils sont rivaux.
— Rivaux ?
— Selon un oracle, Énée régnera un jour sur Troie. Mon père redoute cette prophétie. Énée la connaît aussi et s’attend toujours à être traité en héritier. Mais si on considère que mon père a cinquante fils, Énée est vraiment ridicule. L’oracle fait sûrement allusion à un autre Énée.
— Il a l’air si viril, répliquai-je, songeuse. Il est fort séduisant…
— N’oublie jamais qui est ton époux, Hélène. Ne t’approche pas d’Énée.
L’amour s’éteignait entre nous. Comment était-ce possible, alors que tout avait commencé de façon si flamboyante ? J’eus tôt fait de m’apercevoir que, malgré sa passion pour moi, Pâris ne pouvait s’empêcher de courir les femmes, ni d’aller folâtrer en été sur le mont Ida. Entre mon arrivée à Troie et la venue des Grecs, il avait disparu durant six lunes. À son retour, il ne s’était même pas excusé et avait refusé de comprendre combien j’avais souffert.
Certaines dames de la Cour faisaient tout pour me rendre la vie insupportable. La reine Hécube me haïssait. Selon elle, j’avais causé la perte de son cher Pâris. La femme d’Hector, Andromaque, me détestait parce que j’avais usurpé son titre de plus belle femme du royaume et parce qu’elle redoutait que son époux ne succombât à mes charmes. Comme s’il m’intéressait ! Il se prenait tellement au sérieux que j’eus tôt fait de le cataloguer comme le plus ennuyeux de la Cour.
La jeune princesse Cassandre me terrifiait. Elle arpentait les salles et les couloirs, échevelée, le regard dément, le visage ravagé. Chaque fois qu’elle m’apercevait elle déversait sur moi un torrent d’insultes et de paroles sans queue ni tête. J’étais un démon, j’étais une chienne, je semais le désordre. J’étais l’alliée de la Dardanie. J’étais complice d’Agamemnon. Je causerai la perte de Troie. Et ainsi de suite. Elle me troublait profondément. Hécube et Andromaque l’encourageaient à me guetter. Elles espéraient naturellement ne plus me voir sortir de ma chambre. Mais Hélène a du caractère ! Au lieu de me retirer dans mes appartements, je pris l’habitude de rejoindre Hécube, Andromaque et les autres dames de la noblesse dans leur salle de repos pour les irriter en me caressant les seins (ils sont vraiment splendides) sous leurs regards scandalisés (aucune d’entre elles n’aurait osé dénuder ses mamelles ballantes). Un matin mémorable, j’ai tellement fait enrager Andromaque qu’elle s’est jetée sur moi comme une tigresse, pour découvrir qu’Hélène s’était entraînée à la lutte dans sa jeunesse et était plus que de taille à lutter avec une dame bien élevée. Je lui ai fait un croc-en-jambe et lui ai poché un œil. Puis, j’ai partout chuchoté que c’était là l’œuvre d’Hector.
Au début de l’hiver, une rumeur se répandit : les Grecs avaient quitté la plage et organisaient des raids, le long de la côte d’Asie Mineure, contre des cités éloignées les unes des autres. Des détachements puissamment armés, envoyés pour examiner la situation sur la plage, constatèrent que les Grecs étaient toujours présents et prêts à se battre. Cependant, un à un, les alliés de Priam l’informèrent qu’ils ne pourraient pas honorer leurs engagements pour le printemps. Leurs propres territoires étaient menacés. En Cilicie, Tarse fut incendiée, ses habitants tués ou vendus comme esclaves, le grain volé et chargé sur des navires grecs, le bétail égorgé, les sanctuaires dépouillés de leurs trésors, le palais du roi Éétion pillé. Puis ce fut le tour de la Mysie. Lesbos lui envoya du secours et fut attaquée. Thermi fut rasée. Les Lesbiens se demandèrent s’il n’était pas plus diplomatique de rappeler que leurs ancêtres étaient à moitié grecs et de prendre parti pour Agamemnon. Puis, quand Priène et Milet tombèrent, la panique se généralisa. Même Sarpédon et Glaucos durent rester chez eux en Lycie.
La nouvelle de chaque attaque nous était
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