Le Chevalier d'Eon

Guerchy, Musgrave espérait que le célèbre chevalier soutiendrait les accusations qu’il portait contre le gouvernement de lord Bute qui avait traité avec le duc de Nivernais. D’Éon n’était-il pas le collaborateur le plus proche de l’ambassadeur à cette époque   ?
    Mais d’Éon répondit fièrement   : « Je vous atteste ici sur ma parole d’honneur et à la face du public que je ne puis vous être d’aucune utilité, que je ne suis jamais entré en marché pour la vente de mes papiers et que je n’ai jamais ni par moi-même, ni par aucun agent autorisé de ma part, proposé de faire voir que la paix avait été vendue à la France.   » Malgré ces dénégations une véritable guerre de libelles se poursuivit en Angleterre, mais, sagement, d’Éon ne s’en mêla pas.

Le chevalier d’Éon meuble ses loisirs
    C’est vers cette époque que d’Éon s’installe dans une confortable demeure londonienne appartenant à un certain Joseph Lautem, 38 Brewer Street, Golden Square, au loyer fort élevé. Il y abrite sa bibliothèque qu’il ne cesse d’enrichir. Ses activités lui laissant du temps libre, il entreprend une œuvre considérable intitulée Les Loisirs du chevalier d’Éon de Beaumont sur divers sujets d’administration. Il y aborde tous les thèmes possibles   : la politique de la Pologne, l’administration de l’Angleterre, son développement économique, sa politique coloniale, le commerce et la législation russes, les finances de la France... Bref un travail de titan qui verra le jour en 1774. Le catalogue de sa bibliothèque dressé en 1791 laisse d’ailleurs rêveur. D’Éon a réuni un ensemble de manuscrits et d’ouvrages imprimés digne des plus grands collectionneurs de tous les temps Qu’on imagine   : neuf grands portefeuilles in folio contenant l’ensemble des manuscrits du maréchal de Vauban avec ses plans dessinés de sa main, ses notes et ses instructions sur les fortifications, la défense et l’attaque des places, la discipline militaire et les campements. Suivent des manuscrits concernant les lois civiles et criminelles en France dont les plus anciens remontent au XV e siècle   ; une collection de livres rares en langues orientales   ; des manuscrits sur les finances françaises   ; d’autres sur l’histoire, la politique, les arts et les sciences, les uns en latin, les autres en français ou en anglais   ; des bibles manuscrites, d’autres imprimées en langue hébraïque, chaldéenne, syriaque, talmudico-rabbinique, arabe, persane, turque, géorgienne, gothique, grecque, latine, française et anglaise   ! Rassurons-nous, il y a autant de dictionnaires que de langues citées   ; enfin plus de six cents titres d’ouvrages imprimés comprenant aussi bien tous les dictionnaires imaginables à commencer par l’Encyclopédie, des ouvrages d’histoire, de droit, des traités de casuistique, de théologie, de médecine. Un ensemble cohérent plutôt austère, digne d’un grand lettré. Beaucoup d’ouvrages imprimés sont contemporains   ; cependant si l’on trouve les œuvres complètes de Rousseau dans l’édition de 1769, Voltaire n’apparaît qu’une fois avec Le Tableau philosophique de l’Esprit.
    Au milieu de tous ces ouvrages figurent quelques essais qu’on ne serait pas étonné de trouver chez d’autres collectionneurs, mais qu’on regarde ici avec un intérêt particulier. Les principaux textes concernant la condition féminine et publiés le plus souvent par des défenseurs du deuxième sexe se trouvent réunis chez lui. On peut retenir à ce sujet   : le Traité des maladies des femmes grosses et de celles qui sont accouchées par Moriceau   ; L’Honnête femme par le R.P. du Bosc   ; l’Histoire des Vestales avec un Traité du luxe des dames romaines   ; Le Nouvel Ami des femmes ou la philosophie du sexe   ; Les Vies des femmes illustres de la France   ; Les Femmes des douze Césars par M. de Servies   ; La Nouvelle Pandore ou les femmes illustres du siècle de Louis le Grand par M. de Verton   ; les Recherches sur les habillements des femmes et des enfants ou Examen de la manière dont il faut vêtir l’un et l’autre sexe par M.A. Le Roi   ; une Apologie des dames appuyée sur l’Histoire ; le Dictionnaire historique portatif des femmes célèbres   ; Y Histoire des Amazones anciennes en modernes par l’abbé Guyon   ; un Discours sur les femmes adressé à Eugénie suivi d’un dialogue philosophique