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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
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AUJOURD ’ HUI PAUVRE FILLE MAJEURE , N ’ AYANT POUR TOUTE FORTUNE , QUE LES LOUIS QU ’ ELLE PORTE DANS SON CŒUR , ET SUR SON CŒUR .
    Si l’Amazone s’égaie en citant ses titres et qualités, elle élève bientôt le ton. Elle accuse Beaumarchais d’avoir de l’avoir trompée et trahie avant d’aborder le sujet du larcin dont le sieur Carillon serait coupable   : « Jugez de l’étonnement où me jettent les plaintes que vous adressez au trône sur mes propos à votre sujet. Les personnes les plus qualifiées vous en ont averti, dites-vous, que j’allais vous forcer à me restituer soixante mille livres en vous perdant d’honneur. Il est aisé de voir que cette menace est sortie de la bouche de quelque imposteur mal instruit de mes affaires. Si consultant moins votre vanité que la bienséance, vous m’eussiez demandé raison à moi-même plutôt qu’au ministre des bruits qui couraient, je vous aurais dit qu’au lieu d’une fortune de 60 mille livres, c’était une somme de 256 763 livres 10 sols dont je prétendais être frustrée   : salaire légitime de mes services secrets et publics en tout genre honnête, pendant plus de vingt ans. Je vous aurais rappelé que cette juste réclamation de l’ancien ministre plénipotentiaire de France vous a servi à brillanter votre néant dans le cabinet d’un ministre, dont l’économie ne doit pas être une des moindres vertus   ; et que sa place met dans la malheureuse nécessité de soutenir l’honneur amphibie d’une espèce d’agent qui ne peut avoir aucune part dans son estime. Néanmoins, si votre âme s’ouvre un jour au repentir du tort que vous m’avez fait, pour régénérer votre crédit, en obtenant à mon occasion les entrées familières chez le ministre   ; et que sur les bruits des excellentes affaires qui vous sont venues par ce moyen, vos remords vous portent à me rendre les 256 763 livres 10 sols que votre machiavélisme m’a fait perdre, je recevrai sans scrupule cette restitution qui, je vous l’assure, loin de vous perdre d’honneur, vous en fera autant pour le moins que l’hommage rendu d’office à votre désintéressement. Au reste, je ne vous forcerai à rien, Monseigneur. Pas même à me rendre cette belle Vierge d’après le Cortège, que j’ai donnée à M. Caron, parce qu’il me disait qu’il aimait les Vierges   ; ni cette Vénus d’après le Carrache que j’ai donnée à M. Caron, parce qu’il aime encore plus les Vénus   ; ni ce grand et singulier coffre-fort avec des serrures à secret que j’ai donné aussi à M. Caron, parce qu’il aime par-dessus tout les beaux yeux d’un coffre-fort. Il me suffit que mon bon cœur se soit arrêté à l’article de mes armes qui tentaient aussi votre cupidité gloutonne, mais sur lesquelles l’honneur de m’en avoir dépouillée ne vous avait donné aucun droit. Il me suffit que la faiblesse de mon sexe ait confondu la force du vôtre, en se refusant avec persévérance à l’infâme marché que vous avez osé me proposer, pour m’associer à un vol de grand chemin, et me faire partager le prix de ma honte. Il me suffit enfin d’avoir flétri de mon blâme public le jugement du tribunal anglais, qui a prétendu faire gagner à vos consorts cette cause d’iniquité, dont l’opprobre ne peut se consommer, et les paiements se réaliser, qu’en vertu d’un consentement qu’on ne m’arrachera jamais, ou par une insulte que je ne crains point pour ma cendre, partout où régneront les mœurs. En attendant, repaissez votre espoir des complaisances que peuvent avoir pour vous certains bouffons qui amusent Paris, en me personnifiant dans de fort bonnes maisons, où cela ne dure qu’un moment, parce que ce n’est pas moi. Votre partie est sans doute déjà liée avec le peintre Musson pour ranimer par ses facéties le feu des gageures sur mon sexe, et faire remonter vos primes avec votre impudence. C’est ainsi que Figaro va faisant la barbe à tout le genre humain   ; et moi qui n’ai point de barbe, je rirai de voir avec quelle burlesque effronterie il a osé faire lire à un ministre qui ne connaît de farces que celles du grand théâtre de l’Europe, le couplet du crescendo de Basile pillé de lui-même et d’autrui   ; et je dirai   : Ecce iterum Crispinus. Voilà comme nous jouirons tous deux des biens que nous tenons l’un de l’autre   : vous, Monseigneur, de votre risible importance, et moi de mon estimable nullité   ;

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