Le Chevalier d'Eon
parole d’honneur aux ministres à Versailles de n’attaquer jamais personne. Vous entendez ce que je veux dire. Si vous ne pouvez pas, Monseigneur, déterminer M. le comte de Maurepas à me laisser la liberté constante de reprendre mes habits d’homme, obtenez-moi au moins celle de les porter les jours de la semaine pour que je puisse entretenir ma santé par l’exercice du cheval, de la chasse et des armes et que je ne sois obligée de porter mes habits de fille que les fêtes et dimanches »
D’Éon se heurta à une fin de non-recevoir . Sans se décourager, il s’adressa cette fois à Vergennes, lui demandant instamment de pouvoir mettre son épée au service du roi dans la guerre qui se préparait contre l’Angleterre. Vergennes lui opposa le même refus. En haut lieu, on ne voulait plus entendre parler de cet énergumène bien trop célèbre, dont les exploits continuaient d’occuper l’opinion et dont les effigies allégoriques se multipliaient dans le royaume et même au- delà des frontières. Les artistes ne se pressaient pourtant pas pour faire son portrait. Seule Marie-Anne Collot, la belle-fille de Falconet, voulut immortaliser ses traits. Elle exécuta son buste, hélas disparu, et qui aurait apporté beaucoup à la connaissance du chevalier-chevalière ainsi qu’à la perception qu’en avaient ses contemporains. L’Almanach des Muses rendit grâce aux deux héroïnes par ce quatrain enthousiaste :
« Ce marbre où de d’Éon le buste est retracé, A deux femmes assurent une gloire immortelle ; Et par elles vaincu, l’autre sexe est forcé D’envier à la fois l’artiste et le modèle »
On ne peut que regretter la disparition de l’œuvre de Mme Collot, car il n’existe pas de véritable portrait du chevalier-chevalière, à l’exception d’un dessin de Gabriel de Saint-Aubin conservé au château de Blérancourt, sans qu’on puisse cependant être sûr qu’il représente bien d’Éon. Un tel personnage attirait surtout les caricaturistes. Déjà à Londres, on l’avait représenté en 1773 sous les traits d’une majestueuse Pallas Athénée, symbolisant la femme virile et guerrière, le casque en tête, l’égide au bras gauche autour de laquelle on lit ce vers : « At nunc dura dédit vobis discrimina Pallas », autrement dit : « Aujourd’hui Pallas vous offre une destinée bien différente et bien difficile ». À côté d’elle sont disposés des tambours, des fusils, des canons, des boulets, des drapeaux sur lesquels on lit : «les ruines de l’univers l’écraseraient sans l’effrayer »; et dans le lointain, on aperçoit une citadelle et un camp. Au bas de la gravure sont représentés les principaux événements de la vie de la chevalière accompagnés de l’éloge de ses vertus et de ses talents : « Elle est auteur d’un grand nombre d’ouvrages ; elle est plus célèbre encore par sa vertu que par son nom, par son épée que par sa plume, par ses actions que par ses talents et surtout par son courage héroïque et inébranlable contre les plus rudes coups de la fortune ; par la fermeté invincible de son cœur et de son esprit dans l’oppression et dans les divers procès et combats qu’elle a soutenus et livrés tant en Allemagne qu’en France et en Angleterre, dont elle est sortie innocente et victorieuse après une guerre de plus de douze ans. »
En France, la chevalière apparut casquée sous les traits de Minerve, déesse de la guerre. D’Éon lui-même fit graver par B. Bradel son portrait de profil en capitaine de dragons du sexe féminin, le sein décoré de la croix de Saint-Louis et le chef couvert d’un casque surmonté par un énorme coq. Voltaire qui était encore de ce monde pouvait écrire à son ami d’Argental : « On m’a envoyé un chevalier d’Éon gravé en Minerve accompagné d’un prétendu brevet du roi qui donne douze mille livres de pension à cette amazone, et qui lui ordonne le silence respectueux, comme on l’ordonnait autrefois aux jansénistes. Cela fera un beau problème dans l’Histoire. Quelque académie des Inscriptions prouvera que c’est un des monuments les plus authentiques. D’Éon sera une pucelle d’Orléans qui n’aura pas été brûlée. On verra combien nos mœurs sont adoucies {239} . » Une autre gravure popularisait l’héroïne en Jeanne d’Arc revêtue d’une armure de fantaisie, chaussée de curieuses bottes éperonnées et
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