Le Chevalier d'Eon
celui-ci proposa 200 louis en échange des papiers, qui, disait-il, devaient être de peu d’importance. Lautem n’accepta pas la proposition. Le temps passait. D’Éon s’inquiétait. Le 9 novembre 1784, Lautem annonça dans le Courrier de l’Europe la vente de la bibliothèque. La chevalière supplia Lautem de surseoir à sa décision. Pendant des mois, elle se démena comme une folle et, de guerre lasse, le 17 novembre 1785, Vergennes lui remit 6 000 livres et lui accorda la permission de se rendre en Angleterre pour régler ses problèmes financiers.
Chapitre XII Le grand come-back de Mlle d’Éon
L E 17 novembre 1785, la chevalière quitte Paris en chaise de poste et retrouve à Londres sa vieille demeure de Brewer Street où l’accueille Lautem bien vite amadoué par les 6 000 livres qu’elle ne tarde pas à lui remettre. À son grand soulagement, Mlle d’Éon constate que ses effets sont intacts et que sa précieuse bibliothèque se trouve dans l’état où elle l’a laissée sept ans plus tôt ! Elle a certes l’intention de régler ses affaires, mais on peut penser aussi que l’héroïne veut respirer l’air de Londres, bien différent de celui de Paris. Pour l’heure elle n’a pas de projet d’avenir. Mais en a-t-elle jamais eu ? Et la France n’est pas loin pour une personne qui a tant voyagé.
Angleterre terre de liberté
L’anglomanie faisait alors fureur en France. Relayée par les mondains, l’admiration qu’éprouvaient philosophes et partisans des Lumières pour tout ce qui venait d’outre-manche avait littéralement explosé depuis la signature du traité de Versailles. On ne se contentait plus de faire l’éloge des libertés et du système politique anglais, on vantait le civisme de cette nation, sa douceur de vivre, la simplicité de ses mœurs et ses vertus tranquilles. On opposait son sérieux à la légèreté française et la simplicité du train de vie de George III à la magnificence de celui de Louis XVI. On découvrait avec ravissement la variété d’inventions des ennemis d’hier, leurs produits manufacturés, bref cette haute technicité qui causait une si agréable surprise aux étrangers dès leur arrivée dans ce pays. Les voyageurs donnaient de Londres l’image d’une cité évoluée aux larges avenues bordées de trottoirs et parcourues de voitures légères qui contrastaient avec les artères boueuses de la capitale française encombrée de lourds carrosses et de véhicules inadaptés à l’exiguïté de ses trop nombreuses ruelles.
Louis XVI et Vergennes étaient loin de partager cet engouement. Le système parlementaire britannique leur paraissait une invention diabolique dont l’application eût été inconcevable en France, monarchie de droit divin. « Le parlement n’est pour la plupart du temps dirigé que par l’esprit de parti et l’intérêt national n’est qu’un prétexte pour poursuivre et déplacer les ministres », écrivait Vergennes au comte de Moustiers, représentant de la France près la cour de Saint-James. Au reste, la plupart des violents pamphlets dirigés contre la monarchie française, en particulier contre la reine, sortaient des officines londoniennes. Le roi s’ingéniait à faire racheter à prix d’or les éditions complètes de ces libelles orduriers. Sans succès le plus souvent.
Cependant une grave crise politique secouait cet État chéri par les esprits éclairés. George III gouvernait autoritairement par l’intermédiaire de ministres qui étaient ses créatures. Malgré les factions qui la divisaient, l’aristocratique majorité whig de la chambre des Communes avait engagé une lutte sans merci contre le pouvoir royal et ses méthodes, c’est-à-dire la corruption et le patronage. En s’élevant contre la prérogative royale qui leur semblait contraire à la tradition politique anglaise, les whigs cherchaient avant tout à maintenir un parti parlementaire indépendant de l’influence personnelle du roi pour établir la suprématie des chambres sur la volonté du souverain. En 1783, le prince de Galles, fils aîné du monarque, avait soutenu une coalition dirigée contre son père par le whig Charles Fox. George III songea un instant à abdiquer mais se reprit et accepta la formation d’un ministère whig. Le parlement l’emportait et le nouveau gouvernement engagea une sérieuse offensive contre la prérogative royale. Lors des élections de 1784, on assista à une campagne
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