Le clan de l'ours des cavernes
parole.
- Oui, répondit-il, étonné.
Elle s'éloigna de quelques pas et, revenant vers lui, elle fit le geste convenu en prononçant le mot " pieds ".
- Oui, oui ! c'est ça ! s'exclama-t-il, heureux qu'elle ait enfin compris.
La petite fille resta un instant tranquille, puis traversa en courant la clairière et revint s'arrêter devant lui un peu haletante.
- Courir, mima-t-il devant la fillette attentive. Le geste était légèrement différent du précédent.
- Courir, essaya-t-elle timidement d'exprimer à son tour.
Creb était enthousiaste. Le mouvement était encore indécis et n'avait pas la précision à laquelle parvenaient des enfants plus jeunes, mais elle avait saisi l'idée générale. Il acquiesça vivement et manqua tomber de son siège comme Ayla se jetait sur lui pour l'embrasser.
Le vieux sorcier jeta des regards inquiets autour de lui. Les démonstrations d'affection étaient réservées à l'intimité du foyer. Mais Creb savait qu'ils étaient seuls. L'infirme, en rendant ses caresses à la petite fille, se sentit envahi par une bouffée de bien-être et de chaleur qu'il n'avait jamais ressentie jusqu'alors.
Un nouveau monde s'ouvrit alors pour la petite Ayla. Elle possédait une sensibilité et un talent de mime étonnants qu'elle mit à profit avec acharnement pour copier les mouvements de Creb. L'infirme ne pouvant de son bras unique lui enseigner les nuances, Iza prit le relais. Bien qu'elle apprît beaucoup plus vite qu'un petit enfant, Ayla dut commencer par les rudiments indispensables à l'expression des besoins élémentaires. Restée longtemps sans possibilité de communication, elle était bien décidée à
rattraper le temps perdu, et ce le plus vite possible.
A mesure que se développaient ses moyens d'expression et ses capacités de compréhension, la vie du clan prit à ses yeux un relief nouveau. Elle passait de longs moments à regarder les autres s'exprimer en s'efforçant de déchiffrer leurs gestes. Au début, le clan supporta patiemment sa curiosité importune, mais plus le temps passa, plus les regards désapprobateurs jetés dans sa direction témoignèrent que de si mauvaises manières devenaient intolérables. Il était fort inconvenant de regarder comme d'écouter quelqu'un qui ne s'adressait pas à vous, et la bienséance commandait de détourner les yeux lorsque deux personnes conversaient. Un soir, au milieu de l'été, après le repas, un incident éclata.
Le clan se trouvait à l'intérieur de la caverne, réuni autour des feux que chaque famille avait allumés. La dernière lueur du soleil faisait ressortir la silhouette des arbres à l'épais feuillage sombre, bruissant dans la brise vespérale. Du feu qui flambait à l'entrée de la caverne pour maintenir à distance les prédateurs curieux, chasser les mauvais esprits et atténuer l'humidité de l'air s'élevaient des volutes de fumée et des ondulations de chaleur, et sa vive lueur projetait des ombres dansantes sur les parois de la grotte.
Ayla, assise dans les limites du foyer de Creb, plongeait ses regards sur le foyer de Brun. Broud, de mauvaise humeur, s'en prenait à sa mère et à
Oga, jouant de ses prérogatives masculines. Pour lui, cette journée avait mal commencé, et s'était terminée plus mal encore. Après avoir passé de longues heures à l'aff˚t de sa proie, il avait perdu tout le bénéfice de son guet en ratant son jet, et le renard roux, dont il avait promis la fourrure à Oga, averti par le sifflement de la pierre, s'était empressé de disparaître dans les fourrés. Les regards compréhensifs et compatissants d'Oga n'avaient fait qu'aggraver sa blessure d'amourpropre. Il appartenait à l'homme de pardonner à une femme son inaptitude, et non le contraire.
Les femmes, épuisées par les corvées de la journée, finissaient d'accomplir leurs t‚ches ménagères et Ebra, exaspérée par les exigences incessantes de son fils, fit un signe discret à Brun, auquel la conduite impérieuse de Broud n'avait pas échappé. Certes, le garçon avait le droit de se comporter ainsi, mais Brun estimait qu'il manquait de discernement. Point n'était besoin de faire courir les femmes sous les prétextes les plus futiles, alors qu'elles se trouvaient déjà écrasées de besogne.
- Broud, laisse les femmes tranquilles. Elles ont bien assez de travail, le réprimanda Brun.
Se faire rappeler ainsi à l'ordre par Brun, et surtout devant Oga, était plus que l'ombrageux garçon ne pouvait
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