Le Code d'Esther
il nous apprend qu’il a toujours son passeport français, que ses parents ont émigré en Israël alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années, qu’il a fait son service militaire dans le pays et qu’il est aujourd’hui officier de réserve.
« À quel moment avez-vous fait votre armée ? demande Yohan.
— Entre 1972 et 1975, répond Ariel – c’est le nom hébreu qu’il a pris lorsqu’il est arrivé ici.
— Ce qui signifie que… commence Yohan.
— … j’ai fait la guerre du Kippour, oui ! » complète l’homme.
Le 6 octobre 1973, une coalition formée par l’Égypte et la Syrie attaque par surprise Israël. Pendant plusieurs jours, bénéficiant d’une supériorité numérique écrasante, les armées arabes avancent dans la péninsule du Sinaï et sur le plateau du Golan. La situation semble alors désespérée pour l’État hébreu. Au bout d’une semaine d’intenses combats, l’armée israélienne parvient à stopper l’avance des troupes ennemies avant de retourner la situation. Lorsque le cessez-le-feu intervient, le 23 octobre, Tsahal n’est plus qu’à quelques kilomètres du Caire et de Damas.
« Ça a été l’une des périodes les plus difficiles de ma vie, se souvient Ariel, et en même temps, l’une des plus riches sur le plan spirituel… »
Il fait cette remarque à voix basse, avec un voile de nostalgie dans les yeux. Je décide d’intervenir :
« Comment en ces temps de guerre pouviez-vous vivre l’une des périodes les plus riches de votre vie sur le plan spirituel ? »
À quelques dizaines de mètres, le nom d’Aman est à nouveau conspué alors que le soleil commence à toucher les plus hautes pierres du Kotel. Ariel s’ébroue, sourit en baissant la tête puis se redresse en gonflant la poitrine. Manifestement, il a décidé qu’il pouvait – au moins un peu – se dévoiler.
« Pour répondre à cette question, il faut que je vous raconte une histoire… Vous avez le temps ?
— Tout le temps que vous voulez !
— C’est une histoire qui circule en Israël et que racontent volontiers les étudiants de yeshivot , d’écoles religieuses. Vous vous souvenez du début de la guerre ? Les Arabes étaient mille fois plus nombreux que nous. Ils avaient cent fois plus de tanks que nous, d’avions, de canons, de mitraillettes. Ils étaient certains de gagner la guerre. Du reste, pendant quelques jours, ils ont cru qu’ils l’avaient gagnée, et nous, nous pensions qu’Israël allait être rayé de la carte… Et pourtant, cette guerre, ils l’ont perdue ! Et vous savez pourquoi ? Les Arabes étaient de bons soldats. Ils étaient courageux. Eux aussi croyaient en Dieu. Et pourtant, ils ont perdu la guerre ! »
Ariel marque une pause. Il nous prend par le bras et nous dirige vers une zone d’ombre, plus calme, où il pourra continuer son récit.
« Comment expliquer une chose pareille ? reprend notre nouvel ami en nous regardant dans les yeux.
— Un miracle ! se risque Yohan.
— La volonté de se battre pour la survie d’un peuple et d’un pays, rectifié-je. C’était une question de vie ou de mort pour les Israéliens. Pas pour les Arabes.
— Je vois que j’ai devant moi un croyant et un cartésien, répond Ariel en éclatant de rire. Vous avez tous les deux raison… Mais, en l’occurrence, l’un d’entre vous s’approche un peu plus de la vérité que l’autre. Laissez-moi vous expliquer… Prenons le miracle… Les Arabes comme les Israéliens sont des fils de Dieu. Pourquoi Dieu choisirait-Il les uns plutôt que les autres ?
— Parce que les Juifs constituent le peuple élu ! répond Yohan, un voile de fierté dans la voix.
— Pas du tout ! rétorque notre interlocuteur. C’est la prière qui a fait la différence, la prière ! Au bout de la première semaine de guerre, nous étions tous persuadés que la fin d’Israël était proche. C’est alors que, dans tout le pays, des hommes se sont mis à prier. Jour et nuit, ils priaient dans les sous-sols de toutes les synagogues, dans toutes les yeshivot. Ils priaient sans distinguer la lumière du soleil de l’obscurité de la nuit. Ils ne s’arrêtaient même pas pour manger. Ils priaient et se balançaient d’avant en arrière, en hurlant leur désespoir. Certains disent même que l’éclat de leurs voix et le balancement de leur corps ont dû donner des maux de tête à Dieu !
— Dieu les a entendus ? lance
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