Le Code d'Esther
Yohan.
— Dieu, je ne sais pas… Mais le gouvernement israélien, oui ! Alors qu’on avait besoin de tous les hommes sur tous les fronts, le gouvernement de l’époque a décidé d’autoriser les soldats qui le souhaitaient à délaisser temporairement leurs armes pour la prière. Et là, c’est une clameur générale qui s’est élevée dans le pays. C’est à ce moment-là, disent les étudiants religieux, que Dieu a choisi entre les deux peuples et qu’Il a décidé de l’issue de la guerre. Vous avez un mot pour expliquer ça en français ? »
C’est la première fois que l’on me raconte la guerre du Kippour de cette façon. Et le fait que cet homme, que nous ne connaissions pas il y a seulement une demi-heure, nous livre cette version des faits dans ce lieu inouï qu’est l’esplanade du mur nous envoie dans un univers mystique qui, de toute évidence, ravit Yohan et me laisse abasourdi mais perplexe.
« Et depuis, vous êtes devenu religieux… lui lance Yohan, plus affirmatif qu’interrogatif.
— Pas tout à fait ! Disons que je me suis rapproché de la religion, que l’idée de l’existence de Dieu fait son chemin en moi. Mais je n’ai rien à voir avec tous ces gens qui nous entourent. C’est mon jardin secret et… une autre façon d’appréhender les choses de la vie. »
La lecture de la Meguila d’Esther est à présent terminée. La chaleur commence à se faire sentir à mesure que le soleil monte. Les hommes rangent leurs châles de prière et se dépêchent de rentrer à la maison pour fêter Pourim en famille, charriant dans leur sillage les rires des enfants déguisés.
Pour se rendre à la yeshivah de Ron Chaya, il faut quitter Jérusalem par le nord, traverser des quartiers palestiniens toujours grouillants d’activité avant de se retrouver à Ramoth Daleth. Les quartiers sont tellement imbriqués les uns dans les autres qu’on ne sait jamais où se situe la frontière invisible entre communautés juive et arabe. La foule est la même, les immeubles se ressemblent et l’hébreu reste la langue commune. Seules les femmes se différencient : foulard sur la tête et robes colorées pour les Palestiniennes, perruque ou casquette enserrant la chevelure et longues jupes noires pour les Israéliennes religieuses. Même la musique s’échappant des voitures ou des échoppes peut prêter à confusion : les mélodies sont identiques, et il faut tendre l’oreille pour distinguer l’arabe de l’hébreu.
Nous avons rendez-vous avec le Rav Ron Chaya, l’une des personnalités les plus surprenantes du monde religieux de Jérusalem, mais surtout un expert en analyse de textes sacrés. Il a compris, le premier, l’importance d’Internet et la véritable révolution qu’allait représenter ce nouveau mode de communication. Très vite, toutes ses conférences relatives à une meilleure compréhension de la Torah se sont retrouvées sur YouTube, attirant des dizaines de milliers de personnes. En quelques mois, il est devenu une star du Net, à qui on écrit pour demander conseil – du mariage mixte à la consommation des produits lactés : plus de quarante questions par jour, auxquelles il répond personnellement et qui lui ont donné l’idée de réunir dans un livre les interrogations les plus fréquentes.
Mais le voici qui nous attend sur les marches de sa yeshivah . Physiquement, aucune surprise : il ressemble… à un rabbin, avec son costume sombre, sa cravate bleu marine sur une chemise blanche et ses lunettes cerclées d’or. La cinquantaine, grand et svelte, il nous accueille avec un large sourire et une franche poignée de main. J’allais oublier : il arbore, bien évidemment, la barbe de rigueur. Il nous invite à passer dans son bureau, dont il ferme la porte à clé. « C’est Pourim, explique-t-il, et si je ne nous enferme pas mes étudiants vont vouloir faire la fête avec nous et ne nous laisseront pas tranquilles… »
Le décor est spartiate : une table sur laquelle reposent deux téléphones et un ordinateur, trois chaises et une bibliothèque chargée de livres anciens. La pièce est baignée de lumière provenant de la fenêtre située face aux visiteurs. Elle s’ouvre sur un décor biblique, ce qui est souvent le cas à Jérusalem, de collines arides écrasées de soleil où l’on distingue quelques chèvres. À droite s’étendent les faubourgs de Ramallah et le mur de séparation entre les deux communautés.
Weitere Kostenlose Bücher