Le Code d'Esther

la révolte étudiante. Il se retrouve quarante ans plus tard dans un pays où les kibboutzim et le rêve communautaire ont pratiquement disparu, où la société de consommation fait des ravages pendant que les religieux affirment chaque jour davantage leur pouvoir. Cela ne l’a pas empêché de devenir l’un des journalistes les mieux informés d’Israël.
    L’endroit où nous nous trouvons est fréquenté par beaucoup d’hommes politiques, d’industriels influents et de représentants du monde de la culture ; tout en dégustant un merveilleux chardonnay de Galilée, Charles me les désigne au fur et à mesure qu’ils prennent place dans le restaurant. Après une matinée chargée en émotions spirituelles, cette parenthèse gastronomique et amicale est la bienvenue. Très vite, pourtant, nos vieux démons journalistiques nous reprennent, et la situation dans la région s’invite à déjeuner.
    « Cela fait quelques mois que rien ne bouge, commence Charles de sa voix de basse. Mais mon expérience dans cette région me laisse à penser que ce statu quo ne durera pas longtemps. En fait, j’ai plutôt le sentiment que les menaces se précisent pour Israël.
    — Tu veux parler du changement dans les pays arabes ? Ce que nos intellectuels ont appelé le “printemps arabe” ?
    — Absolument ! Le résultat de toutes ces “révolutions” a été l’arrivée au pouvoir des islamistes. Égypte, Libye, Tunisie, partout, ils se sont installés au sommet de l’État et ne le lâcheront plus. Il est évident que cela pose un sérieux problème à Israël…
    — Et l’Iran ? La menace nucléaire ?
    — C’est un vrai problème. Tout le monde s’accorde ici à prédire des centaines de morts de part et d’autre si Israël déclenchait une série d’opérations ciblées sur les sites d’enrichissement d’uranium. Mais nous avons un Premier ministre qui se sent investi d’une mission : éviter à tout prix un nouvel holocauste. Et il est prêt à des sacrifices… Il l’a déclaré à Washington devant Obama : mieux vaut des missiles sur Tel-Aviv qu’une bombe nucléaire entre les mains de l’Iran. Bref, on est sur le point d’entrer dans une zone de grande turbulence. »
    Décidément, ce pays est fascinant ! Par des chemins totalement différents, les religieux (grâce à l’étude de la Torah) et les analystes politiques (en se fondant sur les rapports de force existants et sur une projection de leurs conséquences humaines et économiques) se rejoignent lorsqu’il s’agit d’évoquer l’avenir.
    « Tu es d’accord avec les religieux sur le point de la situation. Si ce n’est qu’eux parlent de période prémessianique qui pourrait placer Israël en danger de disparaître…
    — C’est bien le seul point sur lequel je serais d’accord avec eux ! En revanche, les Israéliens dans leur immense majorité les rejoignent : un sondage a révélé il y a quelques jours que 70 % d’entre eux pensent que le Messie va arriver… Je te propose de trinquer avant que le ciel ne nous tombe sur la tête ! »
    Et nous voilà partis tous les deux dans un gigantesque éclat de rire provoquant des regards courroucés de la part des clients du restaurant. Je repose mon verre avant de reprendre mon questionnement :
    « Et l’État palestinien ? Utopie ? Tu y crois ?
    — Je ne pense pas dans l’immédiat, répond Charles, redevenu sérieux. Tu vas très vite comprendre… Sais-tu combien de soldats il a fallu envoyer à Gaza pour déloger les 7 000 colons qui s’y trouvaient ? 70 000 ! Dix militaires pour chaque Israélien vivant alors sur la bande de Gaza ! Maintenant, as-tu une idée du nombre de colons habitant la Cisjordanie ?
    — Plus de 300 000 ?
    — 310 000 exactement. Et leur nombre augmente chaque jour. Fais un rapide calcul et tu arriveras à la même conclusion que moi.
    — Donc, situation bloquée…
    — Pas pour longtemps. Crois-moi, l’expérience de cette région me fait dire que le statu quo ne dure jamais très longtemps. »
    L’intermède politique est terminé. Je vais retourner chez les hommes en noir et vivre l’une des nuits les plus éprouvantes de ma vie.
    4 . Équivalent suisse du baccalauréat.

Une nuit chez le Professeur
    L e Rav Avi Bloch est passé nous chercher à l’hôtel. C’était mon as de carreau, mon « Rav high-tech » que j’avais interviewé via Skype, celui qui nous avait encouragés à faire le