Le Code d'Esther
voyage à Jérusalem.
Il est un peu plus grand que l’écran ne le laissait supposer, plus massif, accusant déjà un embonpoint qui trahit un manque cruel d’exercice physique. Yohan, qui le connaît depuis longtemps, ne se prive pas de le lui faire remarquer.
« Vous avez parfaitement raison ! Je ne fais aucun sport. Je passe mes journées à la yeshivah à lire, à étudier, à enseigner, et mes étudiants ne me laissent pas une minute pour m’occuper de ces kilos en trop ! »
Ce qu’il a conservé, c’est cette faconde, cette générosité qui transparaissait déjà via Internet. Doté d’une grande érudition, curieux de tout, sachant écouter son interlocuteur, il ne manque pas une occasion de rire et, n’étaient son costume noir et son large chapeau, c’est le genre de type avec qui on aimerait bien aller boire une bière dans un bistro avec la certitude qu’on ne s’ennuiera pas avec lui.
La veille, il nous avait conviés au festin de Pourim (l’un des trois commandements à respecter ce jour-là, avec les cadeaux aux amis et l’aumône à un miséreux), entouré de ses treize enfants et d’une partie de ses étudiants. Une atmosphère de fête régnait dans l’appartement, où chacun arborait qui un masque, qui un couvre-chef fantaisie, chantant et dansant sur des rythmes de rap (oui, du rap dans la maison d’un rabbin !) autour d’une table immense débordant de victuailles… et de boissons. Car la caractéristique de Pourim – le Rav Gay nous en avait parlé à Paris –, c’est l’alcool, la permission de boire jusqu’à ne plus pouvoir distinguer un « Béni soit Mardochée » d’un « Que disparaisse Aman ». Un objectif difficile à atteindre mais que tous les hommes s’acharnent à dépasser au plus vite. « En fait, m’explique le Rav Bloch, la voix déjà un peu pâteuse, la Torah nous enseigne qu’un homme ivre (attention, pas celui qui tombe de sa chaise, non, celui qui s’abandonne légèrement à la boisson) est désinhibé et laisse transparaître sa véritable nature et ses sentiments les plus profonds. Il est alors au plus près de lui-même, sans mécanisme de protection, et se rapproche ainsi d’une certaine forme d’innocence spirituelle. » Au vu de l’ambiance qui règne, autant dire qu’on approche du but, et que notre innocence sera bientôt celle d’Adam au premier jour : le whisky et la vodka ont parfaitement rempli leur rôle. Deux choses pourtant me frappent lors de ces agapes : d’abord, les femmes invitées, qui restent confinées en bout de table. Elles rient mais elles ne boivent pas. Même à Pourim, hommes et femmes ne se mélangent pas. Ensuite, le respect, l’admiration que les étudiants vouent à leur maître. Tous veulent le servir, parler avec lui, lui lançant des défis d’érudition sur la Torah pour qu’il les mette à l’épreuve, débordant de prévenance et de gestes affectueux pour celui qu’ils ont choisi.
Et, tout au long de l’après-midi, des escouades de jeunes hommes, des amis, des voisins envahissent l’appartement, dont la porte reste toujours ouverte, pour célébrer, un verre à la main, la fête de Pourim. On mange pour mieux supporter l’alcool, on chante et on rit. On félicite la maîtresse de maison et ses filles, qui s’activent entre la cuisine et le salon afin que les invités ne manquent de rien. Le Rav Bloch, un cigare entre les lèvres, de fausses papillotes blondes descendant le long des oreilles, est heureux.
« Je me suis mis à la diète, nous avoue-t-il en venant nous chercher à l’hôtel. Je n’ai pas été malade, mais c’est tout juste… En revanche, mes étudiants étaient complètement soûls ! Je ne les ai pas vus de la journée. Ils savent que demain les cours reprennent, et ils ont intérêt à avoir l’esprit clair ! Mais qu’est-ce qu’on a ri ! »
Il s’interrompt un instant puis poursuit, l’air un peu confus :
« Vous n’avez pas été choqués, j’espère…
— Je vous rassure ! Nous n’avons pas tous les jours l’occasion de voir un Rav passablement éméché, scandant du rap et dansant avec ses enfants et étudiants… Pour rien au monde je n’aurais manqué ce spectacle !
— Mais vous savez que c’est la seule fois dans l’année où je bois, tente-t-il de se justifier.
— Vous n’avez pas besoin de le dire, lui répond Yohan. Au bout du deuxième verre, vous étiez déjà ivre.
— C’est vrai que je ne
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