Le Code d'Esther

de choisir la pendaison pour exécuter les condamnés à mort ? Habituellement, concernant des officiers, on les fusille. Si on adoptait les pratiques allemandes, ils auraient dû être décapités à la hache. Si les Français avaient imposé leur mode opératoire, cela aurait dû être la guillotine. Mais non, on a préféré la pendaison. Pourquoi ? Parce que la procédure anglo-saxonne prévalait à Nuremberg et donc son mode d’exécution ? Peut-être… Toujours est-il qu’ils ont été pendus. Comme à Suse, deux mille trois cents ans plus tôt. Dans la Meguila , on insiste beaucoup, pour une raison bizarre, sur le matériau qui doit servir à la construction de la potence : le bois. Cela semble aller de soi, surtout à l’époque. Mais le texte revient à plusieurs reprises sur la nécessité d’utiliser le bois… Or, non seulement, la potence de Nuremberg est en bois (alors que l’on aurait pu choisir un autre matériau), mais le bourreau, un sergent américain de 43 ans, s’appelait… John Woods. “Bois” en anglais. Drôle, non ?
    » Je pourrais vous citer tellement de choses troublantes… Allez, encore une : savez-vous quelles étaient les couleurs favorites d’Aman ? Le rouge et le noir : les couleurs du Reich ! Ce sont les couleurs d’Aman qui ont inspiré l’effroi sur toute l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ! »
    Je me rends. Il est 5 heures du matin et je suis abasourdi, hébété, un peu ivre. Les idées dansent dans ma tête et me ramènent à chaque fois vers une conclusion que je ne parviens pas à accepter en l’état : le Livre d’Esther annonçait la Shoah. J’ai besoin de réfléchir, de revenir sur tous les points avancés au cours de la nuit, de prendre un peu de recul et d’examiner les différents éléments l’un après l’autre. Acceptons le hasard comme un facteur extérieur à l’histoire. Mais le hasard peut-il se répéter à l’infini, comme dans un jeu de miroirs en abyme, dans un espace-temps si déterminé ? Percevant mon malaise, Yohan me passe une main amicale dans le dos. De la compassion, sans doute, mais également la volonté de me pousser à lâcher prise, à abandonner la bataille et à accepter l’invraisemblable. Trop tôt, trop vite ! J’étouffe après cette avalanche, brillante, de preuves ou d’interprétations, ces similitudes, ces correspondances. « Vous n’en sortirez pas indemnes », avait prévenu le Rav Bloch. Pour le moment, j’ai surtout besoin de temps. D’un peu de temps et de beaucoup d’air frais.
    5 . Hoshanna Rabba a lieu tous les ans le 21 Tichrit.

Le mont des Oliviers
    L e ciel commence à blanchir lorsque le Rav Bloch nous dépose devant notre hôtel. Le trajet s’est effectué en silence, la voiture filant dans des avenues désertes qui n’allaient pas tarder à retrouver leur activité dès que le jour serait levé. Je déroule pour la dixième fois les événements en cascade de ces dernières heures, tâchant de trouver une faille, de déterminer le moment où tout a basculé. En vain. Et pourtant, j’ai la très nette sensation qu’il me manque un élément, que l’histoire n’est pas encore terminée. Rien de précis, mais un sentiment diffus qui m’interdit de m’en tenir là et d’accepter sans broncher la théorie et les découvertes du Pr Neugroschel.
    C’est dans ces moments-là que les amis sont précieux. Yohan a parfaitement capté l’état d’excitation dans lequel je me trouve. Il se doute bien que le sommeil a fui et qu’il est hors de question pour moi de regagner ma chambre pour aller dormir comme le ferait toute personne normalement constituée après une longue journée de travail. Il a déjà élaboré une stratégie afin de m’aider à retrouver mes esprits, à intégrer les informations de la nuit et à faire le point sur la suite à donner à notre enquête.
    Sitôt la voiture du Rav Bloch disparue, alors que je fais les cent pas devant l’hôtel en m’obligeant à respirer profondément, il me saisit le bras et nous dirige vers le parking.
    « Hé, où on va, là ?
    — Tu te laisses guider, me répond-il doucement. Tu me fais confiance et tu te tais. »
    Dix minutes plus tard, nous sommes devant le plus beau spectacle du monde. Le soleil se lève sur Jérusalem, dissipant peu à peu la brume matinale. Déjà, les rayons accrochent les feuilles d’or du dôme de la mosquée al-Aqsa. Ils viennent caresser les murailles de la