Le Coeur de la Croix
un
panneau lumineux. Les cibles avaient été plus dures à ajuster, les hommes plus
difficiles à viser, les distances pénibles à estimer. Surtout, on clignait des
yeux au mauvais moment, alors qu’il eût mieux valu regarder devant soi. Pour
éviter un projectile ou un coup d’épée.
« Saladin a commis une erreur ; il ne la commettra
pas deux fois. »
Dans sa tente, Saladin ruminait. Alexandre, dont il avait lu
les écrits, l’avait pourtant bien dit : « Si tu te trouves en guerre,
arrange-toi pour que le soleil et le vent soient avec toi et non contre
toi. » Trop impatient, quasi certain que Dieu était de son côté et que la
ville demanderait à se rendre dès que ses troupes l’attaqueraient, Saladin
avait voulu faire une entrée triomphale par la porte de Damas. Mais Dieu en
avait décidé autrement, et avait opposé à l’assaut de ses troupes la résistance
d’un cœur vaillant.
« Pourquoi Dieu m’éprouve-t-Il ainsi ? Suis-je
donc pour Lui comme ce pauvre Job ? Ne sait-Il donc pas ma piété, l’amour
que je Lui voue ? Ne mesure-t-Il pas à quel point je fais tout cela pour
Sa gloire ? Quelle faute ai-je commise, pour qu’il me retire ainsi Son soutien ? »
Puis il comprit. Il avait voulu, en attaquant de manière
aussi maladroite, aussi précipitée, aussi orgueilleuse, forcer la main de Dieu.
L’obliger à l’aider. Il aurait mieux fait d’écouter les paroles du Prophète (la
paix soit sur Lui) : « Celui qui sous-estime l’ennemi s’illusionne
sur ses propres forces, et c’est déjà une faiblesse. »
Lentement, avec d’infinies précautions, Saladin déroula son
tapis de prière et demanda à Allah de lui pardonner. Promettant que le prochain
assaut serait le bon, et que, cette fois-là, il livrerait une bataille digne de
chacun des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu.
La prière terminée, Saladin se sentit l’âme en paix. Il ne
servait à rien de se précipiter. Dieu avait tout prévu. Il caressa d’une main
distraite le pelage de Majnoun, sa panthère, et se resservit une tasse de thé
pour s’aider à réfléchir. Aspirant une gorgée du liquide brûlant, il se demanda
que faire. S’il recommençait demain, au même endroit, les troupes de Balian
seraient toujours aussi bien organisées qu’aujourd’hui. Non, Dieu voulait autre
chose. Un projet inédit. Il lui fallait trouver un nouveau secteur par où
attaquer. Le midi le plaçait trop en contrebas, ce qui n’était pas une position
confortable pour un siège. L’ouest était fortement défendu par la tour de David
et la citadelle des rois de Jérusalem ; quant à l’est, il y avait certes
le mont des Oliviers qui le plaçait en hauteur par rapport à la ville, mais un
profond ravin le séparait des murailles.
Songeur, il convoqua son état-major et débattit la nuit
durant de la tactique à adopter. Il fallait changer de position, mais pour
aller où ?
De son côté, Balian n’était point mécontent de ses succès.
Des gens d’Héraclius, venus lui prêter main-forte (en fait l’espionner),
avaient même salué son courage et son ingéniosité. À ceux qui lui demandaient
quel était son secret, Balian répondait : « S’élancer tête baissée au
combat réconforte le cœur. » Et tous de trouver cela fort sage. Ils ne
savaient pas que Balian se contentait de citer le Prophète et de suivre ses
recommandations. Car, tout autant qu’un formidable meneur d’hommes et un grand
chef d’État, le Prophète avait été, d’abord, un soldat. Un conquérant dont les
pensées avaient été consignées dans plusieurs ouvrages, auxquels les Mahométans
se référaient toujours. Balian avait jugé essentiel de les connaître, et se les
était fait traduire en deux exemplaires par Guillaume de Tyr, un pour lui,
l’autre pour son ami Guillaume de Montferrat.
Le lendemain se passa sans nouvel assaut des forces de
Saladin, le sultan attendant un signe du Très Haut. Seules les armes de siège
pilonnèrent la ville à intervalles réguliers, ponctués de périodes de calme au
moment des prières. Les Sarrasins n’hésitaient pas à envoyer, en même temps que
des pierres et des tonneaux de poix, des cadavres de chrétiens récupérés au bas
des murailles – qui s’en allaient rebondir sur les toits – ou les
excréments de leurs troupes – recueillis dans des vases que l’on vidait
dans des tonneaux, chargés ensuite au bras des catapultes.
Jérusalem souffrait. Les morts
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