Le Coeur de la Croix
remercie de nous accompagner, lui dit Ernoul.
J’espère qu’il n’est pas trop tard et que nous aurons le temps d’apporter la
Vraie Croix aux Hiérosolymitains…
Leurs regards se portèrent vers Taqi, qui leur dit :
— Ne vous inquiétez pas, mon oncle a donné sa parole.
Et si la Vraie Croix peut atténuer les souffrances des vôtres, il la laissera
probablement entrer. Cela dépendra de la façon dont la bataille sera engagée.
— C’est-à-dire ? demanda Morgennes.
— Eh bien, dit Taqi, s’il a du mal à prendre la ville,
il ne voudra sans doute pas l’y laisser pénétrer, pour ne pas offusquer Allah.
Si les choses vont bien, il ne pourra qu’accepter, Dieu étant le Clément. Nul
ne voudrait offenser Dieu, fût-ce à travers ses reliques.
*
Héraclius fulminait. « Je ne comprends pas, disait-il,
pourquoi Saladin n’attaque pas de ce côté-ci ! » Contre toute
attente, il voulait parler du sien. Ses gens le regardèrent, étonnés de
l’entendre proférer de telles paroles. Ce qui les suscitait, c’étaient les
succès de Balian, qui avait déjà réussi à faire reculer une première fois
l’armée du sultan.
Cela ne pouvait s’expliquer, pensait Héraclius, que par
l’aide de Dieu. Aide dont il aurait aimé s’enorgueillir lui aussi.
Pourtant, résister n’avait pas été facile et ce premier
succès tenait tout autant au talent de Balian, à la chance et à ses dons de
chef qu’à l’aide du Ciel.
Au petit jour du 20 septembre, il y avait de cela plus
d’une semaine, près de six mille hommes, fantassins, archers, piquiers et
soldats du génie, avaient marché sur la ville. Les étendards jaune et noir du
sultan flottaient au vent comme des voiles de houris ; les minces lames
des sabres et des lances du Yémen jetaient des éclairs accompagnés de
grondements de tonnerre causés par la chute de très gros rochers envoyés contre
les murailles de Jérusalem par les machines de guerre de Saladin. Mais la ville
tenait bon. Quelques défenseurs avaient été précipités dans le vide par
l’effondrement d’un rempart ; mais derrière, un autre tout aussi solide
s’élevait, récemment construit par les gens d’Algabaler et de Daltelar. On
s’encourageait en chantant des psaumes, notamment celui de l’Oultremer : Que
le Saint-Sépulcre soit notre sauvegarde ! On louait le Seigneur et on
buvait de grandes rasades de vin, à même les tonneaux hissés au sommet des
enceintes. On insultait les Sarrasins : « Chacals !
Pourceaux ! Vermine ! » Mais les Mahométans n’entendaient pas
les injures. Portés par le son des tambours et des flûtes, ils montaient à l’assaut
des murailles en rangs serrés.
À genoux entre deux créneaux, des Hiérosolymitains priaient,
bien décidés à rester de marbre sous la pluie de flèches ennemies.
Malheureusement, leurs corps étaient criblés de traits épais, qui les
transperçaient de part en part, et les faisaient tomber à la renverse.
Aussitôt, d’autres hommes venaient les remplacer – même si beaucoup
trouvaient plus prudent de boucher les créneaux par des boucliers ornés d’une
croix.
In hoc signo vinces ! répétait à l’envi
Balian II d’Ibelin, en encourageant son armée improvisée à porter ce
symbole sur le champ de bataille. Et tous l’arboraient, qui au cou, qui brodé
sur un vêtement, qui peint sur son bouclier.
— N’oubliez pas pour qui vous vous battez ! criait-il
à ses hommes. Ils ne passeront pas !
Il ordonna aux catapultes de concentrer leurs tirs sur les
plus lentes des troupes ennemies.
— Ce ne sont pas les cavaliers qui vont nous faire du
tort, mais ceux-ci, armés de lourdes piques, portant des échelles assez hautes
pour nous atteindre, ou poussant de longues galeries !
Galeries en treillages de bois que les assiégés voyaient
avancer vers eux, pareilles à des toits glissant sur des roues.
Saladin avait envoyé quelques sapeurs à l’assaut des
murailles, et c’est eux que Balian voulait empêcher d’approcher. Si les
cavaliers restés en retrait ressemblaient, dans leur armure étincelante, aux
pics enneigés de l’Hermon, les fantassins étaient des collines en marche, qu’il
fallait aplanir sous les rocs.
Balian agita un lourd drapeau rouge, donnant le signal à ses
hommes de libérer la tension qui maintenait au sol les lourdes caisses chargées
de pierres. Brusquement, avec un bruit énorme, elles s’envolèrent vers le ciel,
montèrent au
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