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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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tours. Madame Clémence de Larnay, qui l'avait élevée, son doux ange, ses filles, Artus. Elle n'existait, ne se tenait debout que grâce à eux, à cause d'eux et, finalement, cette constatation ne l'attristait pas.
    1 Ou « gard », les deux termes évoquant une lancette, en référence au bec. Jars.
    2 Les mercredi, vendredi, samedi et veilles de fête, ainsi que les pénitences du Carême et de l'Avent.
    3 Contraction de « nom sacré », ce qui évitait de nommer Dieu.
    4 À qui étaient réservées les tâches les plus ingrates.
    5 On les réservait aux très grandes pièces en raison de leur forte odeur et parce qu'elles noircissaient les murs.
    6 Abréviation de « de bas lignage ».
    7 Probablement écrit entre 1230 et 1250.

Citadelle de Limassol, Chypre, août 1306
    L'aube filtrant par la mince meurtrière de sa cellule avait tiré Francesco de Leone, chevalier de justice et de grâce 1 , d'un sommeil confus, fiévreux, que la touffeur de la nuit ne justifiait pas à elle seule.
    Il sortit de l'aile qui abritait les cellules et le dortoir et traversa la vaste cour pavée en direction du bâtiment trapu réservé aux soins, planté en son centre. On y accueillait les malades, qu'ils fussent gueux ou nobles, valets, marchands ou soldats. Au fur et à mesure qu'il se rapprochait de l'hôpital, l'odeur de décrépitude humaine, de sanie et de déjections le prit à la gorge. Elle ne l'étonna pas. Il frayait avec la souffrance et la mort depuis une éternité. La chaleur ambiante attisait les plaies de ceux qui suppliaient qu'on les soigne. On parvenait à peine à nettoyer les chairs martyrisées dans l'espoir qu'une immonde vermine ne s'y développerait pas. Faute de place, de moyens, de chevaliers médecins, on ne se préoccupait plus de limiter la propagation des infections en cloîtrant les pulmonaires, les scrofuleux 2 , ou les diarrhéiques. Une sorte de tri que nul n'aurait eu le cœur d'admettre s'opérait maintenant. À l'étage ceux qui avaient une chance de survivre. Au rez-de-chaussée, ceux qui allaient mourir et seraient sous peu descendus vers la petite cave creusée sous l'hôpital. Elle faisait office de morgue en raison de sa fraîcheur qui limitait la pestilence exhalée par les cadavres.
    Une rancœur difficile à contenir envahit le chevalier de Leone. Henri II de Lusignan, roi de Chypre, avait assorti sa peu enthousiaste autorisation d'installation sur la côte méridionale d'inflexibles conditions. Le nombre des chevaliers hospitaliers dont il tolérait la présence sur l'île ne devrait jamais dépasser soixante-dix, en plus des serviteurs laïcs qui les accompagnaient. Les chevaliers du Christ avaient dû obtempérer en dépit de l'afflux des malades bientôt cinq fois plus nombreux qu'eux. Certes, Leone le savait : Chypre n'était qu'une étape. Le regard de Guillaume de Villaret, successeur 3 de son frère comme grand maître de l'ordre, se tournait vers Rhodes, vers le futur. Toutefois, une tristesse diffuse lui venait lorsqu'il songeait à ces enfants, à ces vieillards, à tous ces êtres qui allaient mourir parce que Lusignan appréhendait l'expansion et surtout le pouvoir de l'ordre soldat.
    – Je vous vois bien songeur et sombre, mon ami.
    Francesco de Leone se tourna vers la voix douce.
    Arnaud de Viancourt, prieur et grand commandeur, le fixait d'un air paisible. Le petit homme fluet et gris, qui semblait sans âge en dépit des rides fines qui sillonnaient ses joues et son front, insista :
    – Pourquoi si sombre ?
    Francesco baissa la tête et croisa les bras sur sa robe de bure noire.
    – Tant vont mourir. Combien parviendrons-nous à sauver ?
    – Peu, très peu. Notre mission n'est pas de réussir si tel n'est pas le souhait de Dieu. Elle est de nous acharner à toujours recommencer afin d'alléger les peines de Ses créatures.
    – Que savons-nous des souhaits de Dieu ?
    – Ah… l'intenable question que je me suis posée des milliers de fois. Il n'y a que les privés d'esprit qui croient les entrevoir. Nous tâtonnons, mon frère. Nous nous efforçons de Le servir sans jamais faillir, en priant que la voie que nous empruntons soit pure et aussi peu erronée que possible. Venez, proposa-t-il d'une voix plus claire, devisons quelques instants en amitié. L'air du tôt matin me ferait presque oublier que je suis maintenant un vieillard. N'avez-vous pas remarqué cette particularité des nuits chypriotes ? La fournaise du jour se poursuit

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