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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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volonté, les sbires du camerlingue Honorius Benedetti, se rapprochaient de sa fille.
    Plus tard, bien ensuite, l'épuisement l'avait couchée sur le plancher. Elle s'y était tassée, tendue par une seule conviction : elle allait la retrouver, même si elle devait sillonner en tous sens le royaume, en fouiller chaque masure, le moindre recoin. Elle allait la retrouver. Personne ne la séparerait de Clémence.

    Elle se rapprocha du pingre feu qui prenait à regret dans l'immense cheminée, n'en attendant pas grand réconfort. Elle lui tourna le dos dans l'espoir très vain de chasser la raideur de reins qui ne la quittait pas depuis plusieurs jours. Il avait toujours semblé que même les plus extrêmes canicules fussent incapables de réchauffer les pièces du manoir. Agnès y avait toujours eu froid. Pourtant, aujourd'hui, elle frissonnait du froid intérieur qui lui glissait sous la peau. Avouerait-elle un jour à Artus d'Authon les raisons de son impatience, de son insistance à retrouver cette petite Clémence qu'elle avait prétendument recueillie après le décès en couches de sa mère, une suivante ? Devant la surprise de son époux à la voir si obsédée par la disparition soudaine de l'adolescent qu'il prenait toujours pour un jeune garçon, elle avait concédé un demi-mensonge. Après tout, elle avait déjà tant menti afin de survivre. Celui-ci, parce qu'il était destiné à l'homme aimé, lui avait toutefois pesé. Elle avait avoué que Clément était en réalité une fille, qu'elle avait grimée en garçon afin de lui épargner les envies prédatrices d'Eudes de Larnay et de lui éviter le couvent qui ne réservait bien souvent que des tâches de servantes laïques aux orphelines de bas 6 . D'autant, avait argumenté Agnès, qu'elle avait toujours redouté que l'on vînt à se rendre compte que la jeune fille était née d'une hérétique vaudoise*. Son sort eût alors été terrible. Artus avait semblé se contenter de cette explication. Son désir de plaire en tout à son aimée avait fait le reste. Il avait lancé son grand bailli, Monge de Brineux, sur la piste de Clémence. Sans résultat à ce jour, hormis quelques faux espoirs qui avaient blessé encore davantage Agnès.
    Elle s'admonesta. Allons, trêve de ces enfantillages, de ces désespoirs qui ne lui ôteraient pas son courage. Avec l'aide de Dieu et la force paisible mais inflexible d'Artus, elle allait retrouver sa cadette. Nul ne lui barrerait la route.
    Agnès gravit avec lenteur les marches de l'escalier de pierre qui menait à son antichambre, surprise de son manque de vigueur. Un triste sourire lui vint lorsqu'elle déboucha dans la pièce exiguë, chichement meublée d'un guéridon et de deux fauteuils à la tapisserie passée. Dieu qu'elles avaient été démunies ! Il semblait à Agnès qu'elle ne s'habituerait jamais au luxe qui environnait la comtesse d'Authon, aux jardins du château, éclatants de couleurs, de senteurs dans lesquels elle aimait tant à se promener, s'y sentant pourtant en visite, à l'immense bibliothèque du comte. Elle y avait découvert des poèmes bouleversants qu'elle avait chuchotés en ravissement ou des textes savamment cinglants comme ce Lai d'Aristote composé par Henri d'Andeli 7 . Aristote, mentor du jeune Alexandre rentré d'Inde en compagnie d'une belle qui le fascine, s'inquiète que le roi ne délaisse les affaires de l'État au profit de celles du cœur et de la chair. Agacée par les conseils du vieux maître, la subtile Indienne le séduit un jour, au point qu'il accepte qu'elle grimpe sur son dos comme il se traîne à quatre pattes à la manière d'un grand chien. Alexandre surprend la scène et s'en amuse. Mais l'homme sage ne se laisse pas démonter par son ridicule, bien au contraire : « Sire, n'avais-je pas raison de craindre l'amour pour vous qui êtes dans toute la vigueur de la jeunesse ? Voyez à quoi il a pu me réduire malgré ma vieillesse. »
    Lorsqu'elle pénétra dans sa chambre, la morne tristesse qui s'y était tapie depuis son départ de Souarcy la prit à la gorge. Une idée décourageante tenta de se frayer un chemin dans son esprit : était-elle devenue étrangère en tous lieux ? Ici et là-bas ? Une conclusion s'imposa dans son arrogante platitude : au fond, Agnès, qu'elle fût dame de Souarcy ou comtesse d'Authon, n'avait jamais été de nulle part. Elle s'était accrochée de toutes ses forces à des êtres d'amour, pas à des murs ou à des

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