Le combat des ombres
sur elle. Quoi d'autre ? Bien sûr, où avais-je la tête ? Un seigneur inquisiteur d'Évreux vient d'être nommé afin d'entendre prochainement le comte d'Authon en la maison de l'Inquisition d'Alençon. Une aubaine pour nous. (Une moue charmante plissa le nez d'Aude de Neyrat.) Aubaine n'est sans doute pas le terme adéquat, puisque je vois votre habile main dans cette nomination.
– Votre finesse me réjouit, admit le camerlingue.
– Serait-ce abusivement indiscret de ma part de m'informer du moyen grâce auquel vous êtes parvenu à convaincre Clément V d'exiger du roi de France la comparution d'un ancien ami ?
– Rien de vous n'est abusif, ma bien chère. Clément V est un homme d'une rare perspicacité. Il nous ressemble un peu. Toutefois, il serait outré de cette comparaison. Il est très difficile de le duper puisqu'il a lui-même berné pas mal de gens. Cela étant, son caractère peu marqué est un atout pour nous. Son élection fut organisée par Philippe le Bel. Jusqu'où Clément participa-t-il aux tractations qui devaient l'asseoir sur le trône papal, je l'ignore. Néanmoins, il redoute plus que tout que l'histoire de ce marchandage vienne à se répandre dans l'Occident chrétien. La destitution serait alors plus qu'envisageable. Aussi, que représente monsieur d'Authon face à cette perspective ?
– Un pion dans une complexe partie d'échecs. (Aude de Neyrat fronça ses jolis sourcils blonds et insista :) Toutefois, la stratégie de ladite partie m'échappe, je vous l'avoue. Qu'avez-vous à faire d'Artus d'Authon puisque nous encerclons la belle Agnès ? Il devient inutile de nous défaire de son époux.
Honorius Benedetti n'hésita que quelques instants. Il aurait menti sans vergogne à tout autre. Pas à elle.
– Vous l'avez décrite : la partie engagée est d'une rare complexité. Je me suis leurré gravement dans le passé en me convainquant qu'Agnès de Souarcy était la pièce maîtresse de l'échiquier. À la réflexion, à l'interminable réflexion, j'en suis maintenant à la certitude qu'elle n'est pas la seule.
– Artus d'Authon serait-il une seconde reine ?
– Je méconnais ce qu'il est au juste. Cependant, même s'il n'est qu'une tour protectrice, il peut nous barrer le chemin d'autres pièces. Voyez-vous, ma belle amie, nulle des actions de madame d'Authon n'est… innocente, contrairement à ce qu'elle pense sans doute.
– Innocente ?
– Toutes lui sont dictées par un plan qui la dépasse largement et dont elle n'a pas le moindre soupçon.
– Penseriez-vous qu'elle n'ait pas choisi Artus d'Authon par seul élan du cœur mais parce qu'il lui était, en quelque sorte, destiné ? Cette future enfante dont vous tentez d'éviter la conception, et surtout la naissance, devait-elle naître également de lui ?
Il accueillit sa clairvoyance d'un petit hochement de tête :
– Il s'agit là d'un des doutes qui m'effleurent de plus en plus souvent. Soyons clairs : Artus d'Authon n'existe pas sans Agnès de Souarcy, du moins en ce qui concerne notre lutte millénaire. En revanche, je finis par redouter qu'il soit davantage qu'un géniteur remplaçable. Que sais-je… le procréateur essentiel sans lequel son épouse ne pourrait concevoir l'enfante à venir qui perpétuera la lignée, en plus d'un protecteur…
Le camerlingue rattrapa la goutte de sueur qui dévalait de son crâne vers son sourcil d'un coin de son mouchoir. Il laissa échapper un pesant soupir :
– Aude, je le sens, le temps s'accélère et nous est chaque jour davantage compté. Ils doivent disparaître, tous. Madame d'Authon, puisque « la lignée vient par les femmes », est-il écrit et qu'elle est, à l'évidence, l'une d'entre elles. Ce petit Clément, dont j'ignore l'implication exacte et qui a disparu en même temps que les manuscrits. Mes espions m'ont renseigné : Clair Gresson le recherche avec fébrilité, tout comme la comtesse d'Authon. Pour quelle raison ? Quelle importance peut revêtir un petit valet de ferme, si ce n'est qu'il détient le traité de Vallombrosa ? Authon, puisque je ne parviens pas à identifier son rôle exact auprès de son épouse. Je ne vous surprendrai pas, mon amie, vous me connaissez comme un autre vous-même. Je déplore mon impuissance à trouver d'autres solutions que celle de leur trépas. Je n'ai nul autre moyen de m'assurer que ce fol, ce désastreux espoir d'une Seconde Venue ne se répandra
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