Le commandant d'Auschwitz parle
est certain que les fonctionnaires avaient souvent fait
des expériences malheureuses et s’étaient laissés tromper par des gens qui ne
méritaient pas leur sympathie. J’ai vu moi-même des criminels endurcis devenir
soudain très pieux à la veille des dates où il leur était permis de présenter
un recours en grâce.
Mais combien de fois n’ai-je pas entendu les plaintes de
prisonniers en proie à des tortures morales et auxquels les représentants de l’administration
avaient refusé tout secours. Pour ces natures sérieuses, prêtes à s’améliorer,
l’effet psychologique de la peine était infiniment plus pénible que les
privations d’ordre matériel. Comparés aux esprits superficiels, ils étaient
doublement punis.
La période de l’inflation avait pris fin et la situation
politique et économique de l’Allemagne se trouvait consolidée : on
assistait à un grand essor des idées démocratiques. Parmi les nombreuses
mesures prises pendant cette période par le gouvernement, certaines visaient à
rendre l’application des peines plus humaines, plus libérales. En leur
accordant un traitement inspiré par la bonté et par des principes pédagogiques,
on croyait pouvoir ramener à la société les éléments qui avaient violé les lois
de l’État. Puisque « chaque homme était le produit de son milieu »,
on s’efforçait d’assurer au criminel à sa sortie de prison une existence
matérielle qui lui ouvrirait la possibilité d’une ascension sociale et le
détournerait de nouveaux méfaits. Il serait soumis à une tutelle qui lui ferait
oublier son ancienne attitude antisociale et l’empêcherait de retomber dans la
voie du crime.
On voulait aussi relever l’ambiance spirituelle des
pénitenciers en y introduisant des méthodes d’éducation générale telles que l’organisation
de concerts ou de conférences portant sur la morale et les principes
fondamentaux de la société humaine. Les dirigeants des pénitenciers étaient
invités à s’occuper plus attentivement de chaque prisonnier et de ses soucis
personnels. Quant aux prisonniers eux-mêmes, on avait décidé de les soumettre à
un système qui leur permettrait, s’ils faisaient preuve de bonne conduite, d’application
au travail et du désir de se réhabiliter, d’atteindre, après deux étapes
intermédiaires (qui comportaient chacune des privilèges importants et jusqu’alors
impensables) un troisième stade qui leur faciliterait une libération anticipée
avec sursis. Dans le meilleur des cas, on pouvait obtenir ainsi la réduction d’une
moitié de la peine.
Parmi les huit cents prisonniers de notre pénitencier, je
fus le premier à atteindre cette troisième étape. Jusqu’au jour de ma
libération il ne se trouva qu’une douzaine d’autres prisonniers qui furent
reconnus dignes de recevoir les trois galons qu’on m’avait octroyés. Dans mon
cas, toutes les conditions nécessaires pour obtenir cette faveur étaient
acquises d’avance : on ne m’avait ni puni ni admonesté ; ma somme de
travail quotidienne était toujours largement dépassée, je purgeais pour la première
fois une peine de prison, je n’avais pas perdu mes droits civiques et j’étais
considéré comme un criminel politique. Mais, comme tel, j’avais été condamné
par la haute cour et, de ce fait, je ne pouvais obtenir une libération
anticipée que par un acte de grâce du président du Reich sinon par une
amnistie.
J’avais fini par comprendre la situation dans laquelle je me
trouvais. Quelques jours de pénitencier avaient suffi pour me ramener à la
raison. Une lettre expédiée par un de mes avocats avait détruit mes derniers
espoirs : j’en avais pour dix ans de travaux forcés. Désormais je voyais
clair et j’allais agir en conséquence. Jusqu’alors j’avais vécu au jour le jour ;
j’avais pris la vie telle qu’elle s’offrait à moi sans jamais envisager
sérieusement l’avenir. Maintenant les loisirs n’allaient pas me manquer pour
réfléchir sur mes actes passés, pour définir mes erreurs et mes faiblesses et
pour me préparer à une existence ultérieure plus féconde.
Certes, j’avais appris un métier au cours des périodes où je
n’étais pas appelé à participer à l’activité des corps francs. J’étais devenu
un passionné de l’agriculture et mes certificats étaient là pour attester que j’avais
toutes chances pour réussir dans ce domaine : j’y avais déjà fait mes
preuves
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