Le commandant d'Auschwitz parle
musicale vraiment sublime.
Il y avait pourtant dans cette masse de criminels
professionnels, typiques, un bon nombre de prisonniers qui n’entraient pas
réellement dans cette catégorie. C’étaient des cas limites ; des hommes
qui avaient dégringolé, attirés par l’aventure du crime ; d’autres qui
luttaient de toutes leurs forces contre les tentations du mirage ; d’autres,
enfin, natures faibles qui avaient succombé une première fois et se sentaient
tiraillés entre leurs propres bonnes intentions et les influences néfastes du
pénitencier.
En un mot, tous les degrés, toutes les gammes des sensations
humaines étaient représentés dans ces groupes et rien n’était plus fréquent que
de voir ces hommes passer d’un extrême à l’autre.
Les natures légères, frivoles, ne se laissaient
impressionner en aucune façon par la peine qui leur était infligée. Manquant de
tout bagage spirituel, elles se laissaient vivre sans s’inquiéter de l’avenir,
prêtes à reprendre leurs anciennes activités, quitte à tomber une fois de plus
entre les mains de la police.
L’attitude des natures sérieuses était toute différente. La
peine les opprimait terriblement et les tourmentait sans cesse. Ces hommes
essayaient d’échapper à l’atmosphère maléfique des salles communes. Mais une
fois transférés dans une cellule, ils ne pouvaient supporter la solitude,
obsédés par leurs pensées. Aussi demandaient-ils, au bout d’un certain temps,
qu’on les renvoie dans la tourbe des grandes salles.
Notre pénitencier offrait aussi la possibilité de partager
sa cellule avec deux autres prisonniers, mais c’était seulement dans les cas
très rares que trois hommes pouvaient supporter à la longue cette vie dans une
étroite promiscuité. Je n’ai pas connu un seul cas où ces communautés aient
subsisté longtemps. L’administration était amenée à les dissoudre fréquemment,
en substituant un prisonnier à un autre. En prison, l’homme le plus
bienveillant devient rapidement insupportable : hypersensible lui-même, il
se refuse à tout égard pour les autres et la vie commune devient de ce fait
impossible.
Ce n’est pas seulement la peine de l’internement, la
monotonie de l’horaire, les règlements innombrables, les cris et les injures
des gardiens qui opprimaient les prisonniers dotés de dispositions sérieuses.
Ils souffraient aussi en pensant à l’avenir, à l’existence qui serait la leur
après la libération. Ils revenaient sans cesse à ce problème angoissant :
seraient-ils capables de retrouver le contact avec la société ou n’allait-elle
pas les repousser ?
Pour ceux qui étaient mariés venaient s’ajouter les soucis
familiaux. Ils se demandaient si leur femme leur resterait fidèle pendant une
si longue séparation. Tout cela les déprimait au plus haut degré et même le
travail obligatoire et les lectures sérieuses pendant les heures de loisir ne
parvenaient pas à les distraire.
Les cas étaient fréquents où ces gens-là sombraient dans la
folie ou se suicidaient sans raison valable, telle que mauvaises nouvelles du
dehors, divorce, mort d’un être cher, refus d’un recours en grâce.
Parmi ceux qui supportaient mal la prison, je range aussi
les velléitaires, les caractères faibles. Mais ceux-ci se laissaient influencer
par des impressions passagères : quelques paroles encourageantes d’un
vieux repris de justice, un peu de tabac – voilà tout ce qu’il fallait
pour leur faire oublier leurs meilleures intentions, tandis qu’un bon livre,
une heure de réflexion sérieuse les ramenaient parfois sur la bonne voie.
Je suis convaincu que beaucoup de prisonniers auraient pu s’améliorer
si les représentants de l’administration s’étaient montrés plus humains et
moins bureaucrates. Cette remarque s’applique surtout au clergé des deux
confessions : chargés de la censure des lettres, ils étaient mieux que
tout autre placés pour se faire une idée de l’état d’âme et de la mentalité de
leurs ouailles.
Malheureusement, tous ces fonctionnaires étaient fatigués et
aigris par la monotonie de leur service. Ils ne se donnaient pas la peine de se
pencher sur la misère de ceux qui luttaient sérieusement contre leurs mauvais
penchants. Lorsque l’un de ces prisonniers avait assez de courage pour
solliciter l’appui moral de son confesseur, on en concluait aussitôt qu’il
jouait le pécheur repenti pour obtenir sa grâce.
Il
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