Le commandant d'Auschwitz parle
résoudre moi-même les problèmes
qui m’angoissaient le plus.
Nous nous sommes mariés dès que nous en eûmes la possibilité [29] . Ayant choisi
librement, par conviction profonde, une vie dure et laborieuse, nous voulions
la commencer ensemble. Nous étions tous deux conscients des difficultés qui
nous attendaient, mais rien ne devait nous détourner de notre but.
Au cours des cinq années suivantes, notre vie n’a pas été
facile, mais nous ne nous laissions jamais décourager, et c’était pour nous une
joie particulière lorsqu’il nous arrivait d’attirer par notre exemple de
nouveaux adeptes à nos idées.
Nous avions déjà trois enfants, gages du lendemain, gages d’un
avenir meilleur. Nous attendions l’attribution prochaine des lopins de terre
qui nous étaient destinés.
Mais le destin en disposa autrement. L’invitation d’entrer
dans les détachements actifs des SS, que me fit parvenir Himmler en juin 1934,
allait me détourner d’une voie dans laquelle je m’étais engagé avec tant de
conviction et d’assurance. Contrairement à mes habitudes, je mis pas mal de
temps avant de me décider. Mais la tentation de redevenir soldat était trop
forte, suffisamment forte en tout cas pour m’empêcher de tenir compte des
objections de ma femme. Elle se demandait si je trouverais vraiment une
satisfaction intérieure dans le métier qu’on me proposait et s’il parviendrait
à m’accaparer tout entier. Mais lorsqu’elle vit à quel point j’étais attiré par
mon vieux métier de soldat, elle me donna son accord.
On m’avait promis un avancement rapide avec tous les
avantages matériels que cela comporte. Je me disais donc que, tout en déviant
de mon chemin, je pouvais rester fidèle à mon but final. Nous n’avons jamais
cessé de croire, ma femme et moi, que nous serions un jour à la tête d’une
ferme, qu’elle servirait d’asile pour nous et nos enfants. Je me disais que
lorsque notre pays aurait retrouvé la paix intérieure et extérieure, j’abandonnerais
le service actif et que je construirais cette ferme de mes propres mains.
En jetant aujourd’hui un regard en arrière, je dois avouer
que je regrette infiniment la décision que j’ai prise alors après de longues et
douloureuses réflexions. Ma vie et celle de ma famille auraient pris un autre
cours. De toute façon, nous nous trouverions aujourd’hui privés de ferme et
même de patrie, mais, au long des années, nous aurions accompli un travail
susceptible de nous procurer une profonde satisfaction intérieure. Malheureusement
il n’est donné à personne de deviner le cours de son destin et de choisir à
temps la bonne voie à suivre.
Avant d’être invité par Himmler à entrer, en qualité de SS,
dans le corps de garde d’un camp de concentration, je n’avais pas la moindre
idée de ce que représentaient ces camps. La notion même m’en était complètement
étrangère : elle ne me disait absolument rien. Dans l’isolement de notre
vie campagnarde en Poméranie, nous avions à peine entendu parler de ces camps.
Les perspectives qui s’ouvraient à moi, c’étaient celles d’une
vie militaire, d’une vie d’un soldat en service actif.
Dachau (1934-1938)
On m’envoya à Dachau. J’y redevins une recrue avec tout ce
que cela comporte de joies et de peines ; je fus appelé à entraîner d’autres
recrues et je fus entraîné moi-même par la vie de soldat. Mais au cours des
exercices et des heures d’instruction, j’appris enfin que les prisonniers
gardés derrière les fils de fer barbelés étaient des gens dangereux : « des
ennemis de l’État », c’est ainsi que les désignait Eicke [30] , l’inspecteur des
camps. On nous enseigna comment nous devions les traiter et dans quels cas nous
devions faire usage de nos armes. Je les ai vus au travail, à l’entrée et à la
sortie du camp ; les camarades employés dans le camp depuis 1933 m’entretenaient
longuement à leur sujet.
Je me souviens exactement du jour où je vis pour la première
fois infliger une peine corporelle. Deux prisonniers qui avaient volé des
cigarettes à leur cantine avaient été condamnés chacun à vingt-cinq coups de
bâton. Eicke avait donné l’ordre à une compagnie d’assister à cette exécution.
L’arme au pied, nous fûmes rangés en carré ouvert : un cheval d’arçon se
trouvait au milieu.
Les deux prisonniers furent amenés par les chefs de blocs.
Le commandant fit son apparition. Le
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