Le commandant d'Auschwitz parle
confession, auxquelles je consacre tout mon temps.
J’ai eu maintes conversations au sujet du travail avec mes
compagnons d’infortune au pénitencier et ensuite avec les internés dans les
camps de concentration, surtout à Dachau. Ils étaient tous convaincus que l’inaction
derrière les murs d’une prison ou derrière les fils de fer barbelés d’un camp
serait à la longue insupportable.
Le travail représente pour les prisonniers non seulement une
punition efficace, au meilleur sens du terme, parce qu’elle leur permet de se
discipliner et de lutter contre les influences néfastes de la prison, mais
aussi un excellent moyen d’éducation pour ceux d’entre eux qui manquent de
fermeté et d’énergie, qui ont besoin de s’astreindre à un effort constant et
qui sont susceptibles de s’arracher au milieu du crime en se remettant à
travailler.
Mais toutes ces considérations s’appliquent uniquement aux
conditions normales et il en va de même pour la devise « le travail c’est
la liberté [37] ».
Eicke, notre chef, avait la ferme intention d’obtenir la libération des
internés de n’importe quelle catégorie qui se seraient distingués par leur
application au travail, même si la Gestapo et la police judiciaire du Reich ne
partageaient pas son avis. Il a réussi dans certains cas, mais la guerre a mis
fin à toutes ses bonnes intentions.
Je me suis étendu longuement sur le problème du travail
parce que mon expérience personnelle m’en a démontré la valeur psychologique.
Ce qu’on a fait par la suite du travail obligatoire des internés est un autre
problème et j’y reviendrai.
Pendant que j’étais à Dachau, j’ai pu, en ma qualité de Blockführer,
établir un contact direct avec des internés même en dehors de mon bloc. J’étais
chargé de la censure du courrier expédié par les internés : à l’époque,
ils avaient encore le droit d’envoyer des lettres. Lorsqu’on lit pendant une
période plus ou moins longue le courrier d’un prisonnier, on parvient à
acquérir une image assez exacte de sa mentalité : il suffit pour cela d’avoir
une certaine connaissance de l’âme humaine. Chaque prisonnier s’efforce, dans
les lettres adressées à sa femme ou à sa mère, d’exposer, avec plus ou moins de
sincérité, ses soucis et ses souffrances, mais à la longue aucun ne parvient à
dissimuler ses vraies pensées et à tromper l’œil expérimenté de l’observateur.
Pour avoir entendu Eicke parler avec tant d’insistance et de
conviction des « dangereux ennemis de l’État », tous nos SS avaient
fini par partager son point de vue. Je faisais comme les autres. Je voulais
connaître ces « ennemis de l’État » et comprendre en quoi ils étaient
tellement dangereux.
Je trouvai effectivement un petit nombre de communistes et
de sociaux-démocrates acharnés, décidés à reprendre leurs activités illégales
et à semer le trouble dans la population, dès qu’ils seraient libérés. Ils en
faisaient l’aveu avec une franchise complète.
Il en allait tout autrement avec la masse des internés.
Certes, ils avaient été militants du parti communiste ou social-démocrate, ils
avaient lutté et travaillé pour leurs idées. Ils avaient nui dans une mesure
plus ou moins grande, par leurs activités personnelles, à l’expansion des idées
patriotiques du parti national-socialiste, mais si on les observait de plus
près, on pouvait constater bientôt qu’ils étaient des hommes pacifiques et
inoffensifs ; ayant compris que leurs projets étaient irréalisables, ils
voulaient rentrer auprès de leurs familles et reprendre une occupation paisible
et lucrative. Je suis convaincu qu’en 1935-1936, on aurait pu tranquillement
libérer, sans le moindre dommage pour les intérêts du Troisième Reich, les
trois quarts des internés politiques de Dachau.
Un quart d’entre eux seulement croyait fanatiquement que son
univers, momentanément détruit, allait ressusciter. Ceux-là, on aurait dû les
garder comme ennemis dangereux de l’État. Il était facile de les reconnaître,
même s’ils ménageaient leurs aveux et essayaient parfois, non sans habileté, de
déguiser leur pensée.
Infiniment plus inquiétants étaient, pour l’ensemble de l’État
et de la nation, les professionnels du crime, les asociaux, les hommes déjà
condamnés vingt ou trente fois.
Eicke voulait supprimer chez les SS tout sentiment de pitié
à l’égard des internés.
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