Le commandant d'Auschwitz parle
supprimer. Il s’amuse ensuite à observer les réactions du
prisonnier qui court de long en large dans sa cellule et fait des mouvements de
gymnastique pour se réchauffer. Dans la soirée, un gardien indifférent vient
remplacer le « méchant » : le prisonnier renouvelle sa requête.
L’indifférent ouvre aussitôt le robinet du radiateur au maximum et ne s’occupe
plus de la cellule. Au bout d’une heure la chaleur est telle que le prisonnier
est obligé de laisser la fenêtre ouverte pendant toute la nuit : le matin
sa fièvre a sensiblement augmenté.
Transportons-nous maintenant dans un pénitencier où un
gardien mal intentionné conduit les prisonniers à la douche. Arrivé au
vestiaire, il fait ouvrir les fenêtres toutes grandes parce que la pièce est
envahie de vapeur : or, nous sommes en plein hiver. À force de cris, il
pousse les prisonniers vers les douches bouillantes ; là-dessus il tourne
le robinet et l’eau devient glaciale ; il oblige tout son détachement à y
rester pendant un bon moment. Les prisonniers sont tellement transis qu’ils ne
parviennent pas à se rhabiller : le gardien les observe avec un sourire
sardonique.
À une autre occasion (également en plein hiver), c’est un
indifférent qui conduit les prisonniers à la douche. Tandis que ceux-ci se
déshabillent, il s’installe sur un tabouret et se met à lire son journal. Au
bout d’un certain temps il se décide à interrompre sa lecture et à tourner le
robinet. L’eau est bouillante ; personne ne se risque sous la douche. Mais
le gardien est replongé dans son journal et ne se laisse pas troubler par les
appels qu’on lui lance. Arrivé à la dernière page, il se lève et ferme
définitivement le robinet. Les prisonniers se rhabillent et rentrent dans leurs
cellules sans avoir pu se laver. Mais le gardien jette un regard sur sa montre :
c’est l’heure prescrite par le règlement, il a accompli son devoir.
Enfin nous voilà dans un camp de concentration. Les internés
chargent des cailloux. Le chef de poste bienveillant se préoccupe de ne pas
trop charger les wagonnets ; il va voir l’état des rails du chemin de fer
de campagne et fait goudronner les traverses ; il double la quantité des
hommes chargés de pousser les wagonnets lorsqu’ils se retrouvent devant une
colline. La journée se passe sans cris et la livraison a amplement atteint la
quantité prescrite.
Le gardien mal intentionné surcharge les wagons et les fait
pousser à la course sans se préoccuper du nombre de bras nécessaire aux
endroits où le terrain monte. Il n’envoie personne pour vérifier l’état des
rails et des traverses. Les wagonnets déraillent, les kapos rouspètent ; à
midi la plupart des internés ne sont plus en état de reprendre le travail parce
qu’ils se sont abîmés les jambes. Des cris retentissent toute la journée. Dans
la soirée, on n’a obtenu que la moitié de la livraison prescrite.
Le chef de poste indifférent ne prête pas la moindre
attention aux activités du commando, il en abandonne la surveillance aux kapos
et ceux-ci agissent comme bon leur semble. Les internés qui jouissent de leur
bienveillance passent leurs journées sans rien faire ; les autres ont d’autant
plus de travail. Les sentinelles ne voient rien ; leur chef est
constamment absent.
Ces trois exemples reflètent des cas innombrables, comme j’ai
pu le constater moi-même. On pourrait en remplir des volumes. Ils nous
indiquent avec netteté à quel point toute la vie des prisonniers dépend des
dispositions et de l’attitude des gardiens, et ceci en dépit de toutes les
prescriptions et de tous les règlements.
Ce ne sont pas les conditions physiques qui rendent la vie
des prisonniers tellement pénible, mais en premier lieu et essentiellement les
impressions ineffaçables que produisent sur eux l’arbitraire, la méchanceté et
la perfidie des individus indifférents ou vicieux chargés de leur surveillance
ou de la garde de camp.
Le prisonnier est bien armé contre la sévérité la plus dure,
la plus implacable, dans la mesure où elle correspond aux exigences de la
justice. L’arbitraire, par contre, les traitements injustes l’atteignent comme
des coups de gourdin : il les subit avec un sentiment d’impuissance.
Grosso modo , les prisonniers et leurs gardiens
doivent être considérés comme les représentants de deux mondes hostiles. Dans
la plupart des cas, c’est le prisonnier qui joue le rôle de
Weitere Kostenlose Bücher