Le commandant d'Auschwitz parle
la victime obligée
de défendre sa peau. Comme il ne dispose pas des mêmes armes, il cherche d’autres
moyens de défense. L’un oppose à son adversaire l’armure de son obstination ;
il subit sa colère et poursuit son chemin. Un autre devient hypocrite et
obtient des facilités par la ruse. Un troisième passe à l’ennemi, devient kapo,
responsable de block, etc., et s’assure ainsi une vie supportable. Un autre
encore joue le tout sur une carte et essaye de s’évader ; un autre enfin s’abandonne,
dépérit physiquement et aboutit au suicide.
Tels sont les faits, aussi cruels, aussi invraisemblables qu’ils
puissent paraître. Fort d’une expérience personnelle qui s’étend sur de longues
années, je crois pouvoir affirmer que tout se passe ainsi.
Dans la vie du prisonnier, le travail occupe une place
particulièrement importante. Il peut rendre son existence plus supportable,
tout comme il peut le conduire à sa perte.
Pour tout prisonnier qui jouit d’une bonne santé et se
trouve dans des conditions normales, le travail est un besoin, une nécessité
intrinsèque. Il faut naturellement faire une exception pour les fainéants
notoires et pour les parasites asociaux qui peuvent très bien continuer de
végéter, sans éprouver la moindre gêne à ne rien faire.
Pour tous les autres, le travail est une échappatoire qui
leur permet d’oublier le néant de leur existence et les aspects douloureux de
la condition de prisonnier. Il leur procure même une satisfaction dans la
mesure où ils acceptent ce travail librement, de leur propre gré.
S’ils ont la chance de trouver une occupation qui
corresponde à leurs capacités ou à leur profession, le travail leur donne un
équilibre psychologique, difficile à ébranler même dans les conditions les plus
défavorables.
Dans les prisons et dans les camps de concentration, le
travail est, certes, une obligation imposée par la force. Et pourtant chaque
prisonnier est capable de fournir un libre effort à condition d’être bien
traité. Sa satisfaction intérieure réagit sur tout son état d’esprit, tandis
que le mécontentement occasionné par le travail peut rendre toute sa vie
insupportable.
Combien de souffrances et de malheurs auraient pu être
évités si les inspecteurs du travail et les chefs de commandos s’étaient donné
la peine de prendre ces faits en considération, s’ils avaient ouvert leurs yeux
lorsqu’ils traversaient les ateliers et les chantiers.
Pour ma part, j’ai aimé travailler toute ma vie. J’ai
accompli dans les conditions les plus pénibles les travaux manuels les plus
durs. J’ai travaillé dans des mines, des briqueteries ; j’ai conduit des
camions-citernes de pétrole, j’ai abattu des arbres, fabriqué des traverses,
extrait la tourbe. Il n’existe pas un travail agricole que je n’aie accompli de
mes propres mains. Mais je ne me suis pas contenté de travailler ; j’ai
observé attentivement mes camarades, leur vie, leurs habitudes, leurs
conditions d’existence. Je me crois donc en droit de dire que je sais ce que
signifie le travail et que je suis capable d’en apprécier les résultats.
J’étais content de moi seulement après avoir accompli de la
bonne besogne et je n’ai jamais exigé de mes subordonnés plus que je n’aurais
pu faire moi-même.
Lorsque je me trouvais à Leipzig, en détention préventive,
le travail me manquait, malgré toutes les distractions qui m’étaient fournies
par l’instruction de mon procès, par les journaux, les visites et un courrier important.
Sur ma demande, on me trouva du travail : on me fit coller des cornets. C’était
une occupation des plus monotones, mais elle remplissait entièrement une grande
partie de la journée et elle m’imposait une certaine régularité, car je m’étais
librement assigné une tâche quotidienne définie.
Transféré au pénitencier, je me suis choisi, pour autant que
ce fût permis, un travail qui n’était pas purement mécanique et m’obligeait à
être attentif. Il m’a préservé de réflexions inutiles et déprimantes pendant
les longues heures de la journée. Le soir je rentrais dans ma cellule avec le
sentiment d’avoir une journée de bon travail derrière moi. C’eût été la
punition la plus dure que d’en être privé.
Aujourd’hui, dans la prison de Varsovie, c’est le travail qui
me manque le plus. Je suis reconnaissant à ceux qui m’ont chargé de rédiger ma
déposition et ma
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