Le commandant d'Auschwitz parle
dont ils ont la charge et surtout ceux d’entre eux qui leur sont
antipathiques. Ils passent par toute la gamme de leurs mauvais instincts,
depuis les chicanes mesquines jusqu’aux sévices les plus terribles, selon la
disposition qui leur est propre. Ils éprouvent une satisfaction particulière à
infliger à leurs victimes la torture mentale. Aucune interdiction ne saurait
arrêter leurs machinations : seule une surveillance sévère et permanente
est capable de les retenir. Ils sont à la recherche perpétuelle de nouvelles
méthodes de tortures psychiques ou corporelles. Gare aux prisonniers si ces
êtres immondes ont des chefs indulgents pour leurs mauvais penchants ou, pis
encore, susceptibles de les partager !
La deuxième catégorie à laquelle appartient la grosse
majorité des surveillants est constituée par des indifférents : ils font
leur devoir dans la mesure où cela est indispensable, avec plus ou moins de
zèle. Les prisonniers sont des objets confiés à leur garde et ils ne se cassent
pas la tête à leur sujet. Par commodité ils s’en tiennent aveuglément à la
lettre des règlements. Agir d’après l’esprit qui a dicté ces règlements leur
paraît par trop fatigant. Ce sont d’ailleurs des natures trop bornées pour en
être capables.
Ils n’éprouvent aucun désir particulier de faire du mal aux
prisonniers. Mais leur indifférence, leur esprit obtus, leur désir de s’épargner
toute fatigue sont tels qu’ils infligent sans le vouloir de véritables tortures
physiques et morales à bon nombre de prisonniers. Ce sont eux aussi les
premiers responsables d’une situation qui permet à quelques-uns des prisonniers
d’exercer une domination néfaste sur leurs compagnons de malheur.
Il existe enfin une troisième catégorie dans laquelle se
rangent des gens bienveillants de nature, dotés d’un bon cœur et capables de
pitié et de sympathie pour les souffrances d’autrui.
Mais là encore, il faut faire une distinction. Il y a ceux
qui s’en tiennent strictement et consciencieusement aux règlements et n’admettent
pas de dérogations, mais qui savent les interpréter en faveur des internés. Ils
essaient, dans la mesure du possible, d’alléger leur condition ou tout au moins
de ne pas leur créer de souffrances inutiles.
D’autres se montrent bienveillants jusqu’à la naïveté, ils
ne font jamais d’observations aux prisonniers, ils cherchent à satisfaire leurs
moindres désirs et à leur venir en aide par tous les moyens. Guidés par leur
bonté et une pitié sans mesure, ils se refusent à croire qu’on puisse trouver
des éléments mauvais même parmi les internés.
D’une façon générale, un prisonnier accepte avec sérénité un
traitement sévère dans la mesure où ceux qui le lui infligent ne sont pas
dépourvus de bienveillance ou de compréhension humaine. Avec des natures
sensibles, on obtient parfois des miracles moyennant un sourire, un signe de
tête, une parole aimable : le fait même qu’on comprenne leur état d’âme
produit un effet extraordinaire. Même les plus désespérés, acculés aux
dernières extrémités, retrouvent leur courage et leur volonté de vivre dès qu’ils
s’aperçoivent du moindre indice de gentillesse.
Chaque interné cherche à organiser son propre destin de la
façon la plus supportable et à tirer profit de l’indulgence qu’on manifeste à
son égard. Des prisonniers sans scrupule jouent le tout pour le tout :
comme ils sont généralement supérieurs en intelligence aux surveillants
subalternes, il ne leur faut pas beaucoup de temps pour trouver un point faible
chez les gardiens bienveillants ou bornés.
C’est là le revers de la médaille. Lorsqu’on se montre, ne
fût-ce qu’une seule fois, confiant à l’égard d’un prisonnier doté d’une volonté
plus forte que la vôtre, cela peut entraîner toute une série d’abus et aboutir
à des actes où votre responsabilité se trouve gravement engagée. On commence
par faire passer des lettres inoffensives en contrebande et on finit par
devenir complice d’une évasion.
Voici quelques exemples qui peuvent illustrer, dans des
situations identiques, l’attitude des trois catégories de surveillants.
Nous sommes dans la prison préventive. Le prisonnier prie le
gardien d’augmenter le chauffage de sa cellule, parce qu’il se sent grippé. Le
gardien qui appartient à la catégorie des « méchants » n’a rien de
plus pressé que de le
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