Le commandant d'Auschwitz parle
très
rares. Le travail le plus pénible, la surveillance la plus sévère ne
contribuaient en rien à leur guérison. Dès qu’ils en trouvaient la moindre
occasion, ils tombaient dans les bras les uns des autres. Tant que leur
déchéance n’était pas trop accentuée, ils continuaient à s’adonner à leur vice.
On les reconnaissait de loin. Leurs manières efféminées, leur afféterie, leur
façon doucereuse de s’exprimer, leur maintien aimable à l’égard de ceux qui
étaient invertis ou avaient un penchant pour l’homosexualité les distinguaient
nettement de ceux qui s’étaient détournés du vice, qui voulaient s’en guérir
définitivement et qui offraient à l’observateur attentif tous les symptômes d’une
guérison rapide.
Tandis que les hommes, animés d’une ferme volonté de
renoncer à leurs habitudes, se montraient capables de supporter le travail le
plus dur, on voyait les autres dépérir lentement. Selon leur constitution, leur
déchéance physique était plus ou moins rapide. Incapables de renoncer à leur
pratique, ils savaient qu’ils ne seraient pas libérés, et cette tension
psychologique contribuait sérieusement au dépérissement physique de ces natures
généralement hypersensibles.
Il n’était pas difficile de prévoir une issue fatale chaque
fois que la maladie ou la mort enlevait à l’un de ces hommes son « ami ».
Beaucoup d’entre eux se sont suicidés. Dans la situation où ils se trouvaient, l’« ami »
représentait tout pour eux. Dans plusieurs cas, nous avons vu deux amis se
donner simultanément la mort.
En 1944, le Reichsführer organisa à Ravensbrück des « stages
de guérison ». Un certain nombre d’homosexuels qui n’avaient pas donné de
preuves définitives de leur renonciation au vice furent appelés à travailler
avec des filles et soumis à une observation très stricte. On avait donné aux
filles l’ordre de se rapprocher, sans en avoir l’air, de ces hommes et d’exercer
sur eux leurs charmes sexuels. Ceux qui s’étaient vraiment améliorés
profitèrent de l’occasion sans se faire prier ; quant aux incurables, ils
ne gratifiaient pas les femmes d’un seul regard. Si celles-ci se montraient
trop provocantes, ils s’en détournaient avec dégoût et horreur. Après les avoir
soumis à cette épreuve, on procéda à une sélection de ceux qui paraissaient
mériter la libération. Mais, à titre de vérification, on fournit à ces derniers
une nouvelle occasion d’entrer en rapport avec des êtres du même sexe. Presque
tous la dédaignèrent et se refusèrent farouchement à céder aux provocations de
vrais invertis. Mais il y eut aussi des cas limites, des hommes qui voulaient
profiter des deux possibilités : on pourrait peut-être les désigner comme « ambivalents ».
En tout cas cette possibilité d’observer la vie et le
comportement des internés homosexuels de toutes les catégories m’a paru
extrêmement instructive.
Il y avait aussi à Sachsenhausen toute une série d’internés
dits « proéminents » ou « spéciaux ».
On désignait comme « proéminents » des prisonniers
qui avaient joué un rôle important dans la vie publique. Ils étaient
généralement traités au camp comme les autres internés politiques et ne
jouissaient pas de privilèges particuliers [46] .
Après la déclaration de guerre, leur nombre s’accrut considérablement à la
suite de l’arrestation réitérée des anciens responsables des partis communiste
et socialiste.
Quant aux internés « spéciaux » c’étaient ceux
qui, sur ordre de la police d’État, devaient être tenus séparés des autres
prisonniers, soit à l’intérieur, soit à proximité du camp de concentration.
Seuls, quelques initiés devaient connaître leur nom et leur lieu d’internement.
Avant la guerre, ils étaient peu nombreux, mais par la suite, ils allaient
former une catégorie assez importante : j’aurai à y revenir.
En 1939, le camp de Sachsenhausen eut aussi à abriter des
professeurs et étudiants tchèques, ainsi que des professeurs polonais de l’Université
de Cracovie. On les avait installés dans un bloc spécial. Pour autant que je m’en
souvienne, ils n’étaient pas astreints au travail, mais, à part cela, ils
étaient soumis au régime commun. Au bout de quelques semaines, les professeurs
de Cracovie furent libérés : de nombreux professeurs allemands étaient
intervenus en leur faveur, auprès de Goering et
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