Le commandant d'Auschwitz parle
auprès du Führer. Je crois qu’il
y avait en tout une centaine de professeurs internés, mais je ne les ai vus qu’au
moment de leur arrivée et je n’ai plus entendu parler d’eux pendant leur séjour
au camp.
Il y a toutefois un interné « spécial » dont je
voudrais parler plus longuement. Son attitude était toute particulière et j’ai
eu l’occasion de l’observer de près : il s’agit de Niemöller, le pasteur
protestant.
Pendant la Première Guerre mondiale, il s’était illustré
comme commandant de sous-marin. Après la signature de la paix, devenu pasteur,
il avait pris la direction de l’« Église confessionnelle », l’une des
fractions les plus importantes de l’Église évangélique allemande. Le Führer,
voulant unifier l’Église évangélique, avait désigné un évêque pour tout le
Reich. Beaucoup de groupes « évangéliques », dont Niemöller lui-même,
se refusèrent à reconnaître l’autorité de cet évêque et lui opposèrent une
résistance violente. La paroisse de Niemöller se trouvait à Dahelm, élégant
quartier de la périphérie de Berlin ; elle servait de centre de réunion à
tous les réactionnaires protestants de la capitale et de Potsdam, à toutes les
vieilles excellences impériales et à tous les adversaires du régime
national-socialiste. Niemöller prêchait la résistance : c’était la raison
pour laquelle on l’avait arrêté. Installé à Sachsenhausen, dans un baraquement
comportant des chambres individuelles, il jouissait de toutes les facilités. Il
pouvait écrire à sa femme, aussi souvent qu’il le voulait. Une fois par mois,
il recevait sa visite et elle lui apportait tous les livres, cigarettes et
vivres qu’il souhaitait. Il lui était permis de se promener dans la cour,
devant son baraquement. Sa cellule était munie de toutes les commodités. En un
mot, on faisait pour lui tout ce qui était possible. Le commandant avait ordre
de s’occuper de lui et de s’informer de ses désirs.
Le Führer avait intérêt à amener Niemöller à renoncer à son
attitude. Des personnalités éminentes venaient à Sachsenhausen pour essayer de
le convaincre ; en particulier l’amiral Lanz qui, pendant des années,
avait été son supérieur dans la marine et qui appartenait à son Église
confessionnelle, toutes ces démarches ne servaient à rien ; Niemöller ne
voulait pas modifier son point de vue. À son avis l’État n’avait pas le droit d’intervenir
dans les affaires des Églises et de leur dicter ses lois, empiétant ainsi sur
la compétence des communautés religieuses. L’Église confessionnelle continuait
à prospérer. Niemöller était devenu son martyr ; sa femme poursuivait
activement son action. J’étais bien au courant de tout cela parce que je lisais
sa correspondance et assistais aux visites qu’il recevait dans le bureau du
commandant. En 1938, il s’adressa au grand amiral Raeder, chef suprême de la
Marine, pour lui annoncer qu’il renonçait au port de l’uniforme d’officier
parce qu’il n’était pas d’accord avec l’État que cette marine était appelée à
servir. Au début de la guerre, il voulut s’engager comme volontaire et demanda
un poste de commandant de sous-marin. Le Führer lui opposa un refus puisqu’il
ne voulait pas porter l’uniforme de l’État national-socialiste. Depuis quelque
temps, Niemöller s’était mis à envisager sa conversion à l’Église catholique.
Ses arguments étaient des plus étranges : il prétendait que sur les
problèmes les plus essentiels, son Église confessionnelle se trouvait d’accord
avec le catholicisme. Sa femme lui déconseillait cette conversion de la façon
la plus énergique. Il me semble qu’il espérait obtenir sa libération en se
convertissant, mais ses fidèles ne l’auraient jamais suivi. J’eu maintes
occasions de causer longuement avec Niemöller. Dans tous les problèmes de la
vie quotidienne, il se montrait très compréhensif, même lorsqu’il s’agissait de
domaines qui ne lui étaient pas familiers ; mais le rideau de fer
retombait dès qu’on abordait les affaires de l’Église. Il maintenait avec
obstination son point de vue et se montrait hostile aux arguments les plus
probants qu’on lui opposait. Pourtant, il aurait dû consentir à reconnaître le
régime en se disant prêt à se convertir au catholicisme, puisque l’Église
catholique elle-même avait signé un concordat. L’une de ses filles allait
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