Le commandant d'Auschwitz parle
en
mesure de diriger convenablement son camp : je le priai une fois de plus
de la subordonner au Schutzhaftlagerführer.
Himmler m’opposa un refus catégorique sans tenir compte de
mes avis. Selon lui, le camp féminin devait être dirigé par une femme ; à
la rigueur il voulait bien admettre qu’un Führer SS fût mis à la disposition de
Frau Langefeld pour la seconder dans sa tâche.
Mais qui, parmi les Führer, se serait soumis volontairement
à une femme ? Chacun de ceux que je chargeai de cette mission me priait au
bout de quelque temps de le remplacer par un autre. Lors de l’arrivée de
convois importants, je devais assister moi-même à leur réception quand j’en
avais le temps pour pouvoir diriger personnellement leur installation.
C’est ainsi que le camp de femmes allait se trouver dès le
début aux mains des détenues elles-mêmes. Cette autonomie s’affirmait de plus
en plus à mesure que le camp s’agrandissait et que les surveillantes en
perdaient le contrôle. De ce fait les femmes de la catégorie « verte »,
plus roublardes et plus dénuées de scrupules, devaient obtenir un rôle
prédominant malgré la présence de quelques éléments « rouges » parmi
les responsables et chefs de chambrée. La plupart des « instructrices »
(car c’est ainsi qu’on appelait les kapos de sexe féminin) étaient presque
toutes des « vertes » ou des « noires ». Et c’est grâce à
elles que les conditions les plus effroyables allaient désormais régner dans le
camp des femmes.
Malgré tout ce que je viens de dire des surveillantes
envoyées de Ravensbrück, elles étaient encore infiniment supérieures à celles
qui arrivèrent par la suite. En dépit d’une propagande très active déployée par
les organisations féminines du parti national-socialiste, il n’y avait que très
peu de volontaires pour servir dans un camp de concentration, et puisqu’on en
avait un besoin de plus en plus urgent, il fallait user de mesures de rigueur
pour se les procurer. Chaque usine d’armement à laquelle on attribuait des
détenues comme main-d’œuvre fut invitée à mettre un certain pourcentage de ses
employées à la disposition de l’Inspection générale des camps qui les
utiliserait comme surveillantes. Et comme on manquait pendant la guerre de
main-d’œuvre féminine, il était tout naturel que ces entreprises ne choisissent
pas pour cette tâche leurs meilleurs éléments.
Ces futures surveillantes recevaient pendant quelques
semaines une instruction à Ravensbrück : ensuite on les lâchait sur les
détenues. Une fois de plus, le camp d’Auschwitz était des plus mal lotis, car
Ravensbrück, où l’on procédait au classement et à la répartition et où l’on
préparait l’installation d’un camp de travail féminin, gardait naturellement
les meilleurs éléments pour ses propres besoins.
Il en résultait que le niveau moral de nos nouvelles
surveillantes était presque toujours extrêmement bas. Beaucoup d’entre elles
furent traduites devant les tribunaux SS sous l’inculpation de vol, mais il ne
s’agissait que de celles qui s’étaient laissé prendre. En dépit des sanctions
impitoyables, elles continuaient à voler en employant souvent les détenues
comme intermédiaires.
Voici un exemple qui illustre bien la situation. Une
surveillante s’était abaissée à entretenir des rapports avec des détenus
masculins, généralement des kapos « verts » qui devaient rémunérer
ses faveurs par des pièces d’or et des objets précieux [85] . En guise de « paravent »
elle avait trouvé dans la troupe un Stabsscharführer et elle cachait chez cet
amant ses trésors péniblement gagnés et bien emballés. Cet imbécile ignorait
tout de la conduite de sa bien-aimée et l’on peut imaginer sa stupeur lorsqu’on
vint perquisitionner chez lui et qu’on découvrit toutes ces richesses. Himmler
fit infliger à cette surveillante cinquante coup de « gummi [86] » et l’internement
à vie dans un camp de concentration.
Tout comme l’homosexualité dans les camps masculins, les
amours lesbiennes sévissaient dans les camps de femmes. Même les punitions les
plus sévères en commando de représailles ne pouvaient empêcher ces pratiques. À
maintes reprises, on vint me signaler des rapports de ce genre entre les
détenues et les surveillantes, ce qui permet de juger du niveau moral de ces
dernières.
De toute évidence, ces surveillantes ne pouvaient
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