Le commandant d'Auschwitz parle
prendre
leur service au sérieux. Il n’était guère facile de les punir pour négligence
dans l’exercice de leurs fonctions. Si on les mettait aux arrêts, elles
considéraient cela comme une faveur parce qu’elles n’avaient plus besoin de
sortir par mauvais temps. D’ailleurs toutes les punitions devaient être
sanctionnées par l’inspecteur du camp ou par Pohl, et l’un et l’autre voulaient
qu’on punisse le moins possible ; à leur avis, il suffisait de sermonner
les surveillantes et de diriger leurs activités afin d’aplanir ces difficultés.
Ces femmes n’ignoraient rien de cette attitude de leurs supérieurs et
agissaient, dans la plupart des cas, en conséquence.
D’une façon générale, j’ai toujours éprouvé une grande estime
pour les femmes. Mais à Auschwitz j’ai dû réviser mon jugement et je suis
arrivé à la conviction qu’il faut bien connaître une femme avant de lui
accorder des sentiments de respect.
Si la majorité des surveillantes était exactement telle que
je viens de la décrire, je dois pourtant admettre qu’il y avait parmi elles
quelques braves personnes très convenables et dignes de toute confiance. Elles
devaient beaucoup souffrir de l’ambiance d’Auschwitz, mais elles ne pouvaient
pas s’en évader puisqu’elles étaient des engagées de guerre. Souvent elles m’ont
conté leurs misères et plus souvent encore à ma femme. Nous ne pouvions les
réconforter que par la perspective d’une fin prochaine des hostilités, ce qui
représentait une bien faible consolation.
Les chiens de garde
Dans le camp des femmes d’Auschwitz, les commandos qui
travaillaient à l’extérieur étaient soumis à la surveillance des « Hundeführer »
qui avaient à leur disposition des chiens de garde. Déjà à Ravensbrück, on
avait attribué des chiens aux surveillantes des commandos extérieurs pour
économiser du personnel ; les surveillantes étaient toutes munies de
revolvers, mais le Reichsführer pensait que les chiens serviraient de moyen d’intimidation
plus efficace ; les femmes craignaient toutes les chiens tandis que les
hommes y faisaient moins attention. À Auschwitz, en raison du nombre des
internées, la surveillance des commandos extérieurs posait toujours des
problèmes. La troupe n’y suffisait pas. Les postes de sentinelles étaient très
utiles lorsqu’il s’agissait de surveiller les grands chantiers. Mais ce système
était inapplicable dans l’agriculture, dans les travaux de terrassement et dans
toutes les circonstances où les détenus devaient se déplacer plusieurs fois par
jour. C’est pourquoi il devint nécessaire d’employer en plus grand nombre les
Hundeführer qui étaient encore moins nombreux que les surveillantes. Même cent
cinquante chiens ne nous suffisaient pas. D’après les calculs d’Himmler, on
aurait pu économiser deux sentinelles en employant un chien. C’était peut-être
exact pour les commandos féminins parce que la seule présence d’un chien
faisait peur à tout le monde.
On ne pouvait rien trouver de pire, en matière de soldats,
que le commando préposé aux chiens de garde d’Auschwitz. Au moment où l’on
cherchait des volontaires pour les fonctions de Hundeführer, c’est la moitié du
Sturmbann SS [87] qui se présenta ; les hommes se promettaient tous un service plus facile
et plus distrayant. Mais comme il était impossible de satisfaire toutes les
demandes, les chefs de compagnies trouvèrent une issue en choisissant parmi les
candidats toutes les « brebis galeuses » dont ils ne demandaient pas
mieux que de se débarrasser. La plupart d’entre eux avaient déjà subi des
sanctions disciplinaires, et si le chef de la troupe s’était donné la peine d’étudier
attentivement leur dossier, il ne se serait jamais décidé à les utiliser pour
un emploi semblable.
On les envoya suivre un cours à l’Institut expérimental d’études
canines d’Oranienburg où plusieurs de ces hommes furent immédiatement reconnus
totalement inaptes à la besogne. Lorsque les autres revinrent à Auschwitz,
après avoir achevé ce stage préparatoire, on ne fut pas long à s’apercevoir de
leur incapacité. Les uns passaient leur temps à jouer avec les chiens, les
autres s’abritaient quelque part pour dormir, sachant que le chien les
réveillerait à la moindre « approche de l’ennemi » ; d’autres
enfin s’amusaient à bavarder avec la surveillante ou les détenues. Beaucoup
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