Le commandant d'Auschwitz parle
par principe à brosser ou même à toucher son
uniforme, sa casquette et ses bottes, en un mot tout ce qui avait le moindre
rapport avec la chose militaire. Dans l’ensemble, elles étaient contentes de
leur sort. Elles espéraient que les souffrances de la détention leur
assureraient une bonne place au royaume de Jéhovah où elles désiraient parvenir
le plus tôt possible. Fait étrange, elles étaient toutes convaincues qu’il
était juste de faire souffrir et mourir les Juifs parce que leurs ancêtres
avaient trahi Jéhovah. Je les ai toujours considérées comme de pauvres folles,
heureuses à leur façon.
Les autres femmes détenues de nationalité polonaise,
tchèque, ukrainienne et russe étaient employées, lorsque leurs forces le leur
permettaient, aux travaux agricoles. Ainsi, elles se trouvaient soustraites aux
mauvaises influences des masses entassées dans le camp. Les conditions de leur
existence dans les fermes et à Raisko [84] étaient nettement meilleures. J’ai toujours ressenti une impression toute
différente devant les détenues employées dans l’agriculture et installées hors
du camp. Elles ne subissaient pas la pression permanente de la multitude, sinon
elles n’auraient jamais été capables d’exécuter avec autant de bonne volonté le
travail qu’on exigeait d’elles.
Le camp de femmes, qui était dès le début rempli à craquer,
conduisait la plupart des femmes internées à l’anéantissement moral, suivi tôt
ou tard de la déchéance physique.
Les conditions qui régnaient dans ce camp étaient
déplorables sous tous les rapports. Il en était ainsi dès le début lorsqu’il ne
constituait qu’une partie du camp principal ; mais à partir du moment où
arrivèrent les premiers contingents de Juifs slovaques, toutes les baraques se
trouvèrent envahies jusqu’au toit au bout de quelques jours. Dans le meilleur
des cas, les douches et les cabinets n’auraient pu être utilisés par un tiers
des détenues.
Pour maintenir un semblant d’ordre dans cette fourmilière,
il m’aurait fallu disposer de forces autrement importantes que ce petit groupe
de surveillantes mises à ma disposition par le camp de Ravensbrück et, là
encore, le choix ne s’était pas porté sur les meilleurs éléments.
À Ravensbrück, les surveillantes avaient été très gâtées. On
faisait l’impossible pour les conserver au service des camps et pour attirer de
nouvelles candidates en leur offrant des conditions d’existence très
avantageuses. Elles étaient très bien logées et leur salaire dépassait de loin
les sommes qu’elles auraient pu gagner au-dehors. Leur travail n’était pas
particulièrement fatigant. On les traitait avec tous les égards selon le désir
expressément formulé par Himmler et surtout par Pohl. À cette époque, les
conditions générales du camp de Ravensbrück étaient parfaitement normales et il
n’y était pas question de surpeuplement.
Et maintenant ces surveillantes privilégiées étaient venues
à Auschwitz avec la mission de contribuer, dans les conditions les plus
difficiles, à la bonne marche d’une organisation toute nouvelle. Aucune n’avait
choisi ce poste de son propre gré et, dès le début, la plupart ont manifesté le
désir de s’en aller pour retrouver la vie calme, paisible et confortable de
Ravensbrück.
La surveillante-chef, Frau Langefeld, n’était nullement
à la hauteur de sa tâche, mais elle s’entêtait à ne tenir aucun compte des
instructions que lui donnait le Schutzhaftlagerführer (chef des gardiens du
camp), auquel j’avais confié, sans en demander l’autorisation, la surveillance
du camp de femmes pour mettre fin à la pagaille. Il ne se passait pas un jour
sans drames, notamment au sujet de l’appel des détenues. Les surveillantes
couraient dans toutes les directions comme des poules affolées ; on
pouvait compter parmi elles trois ou quatre femmes de tête, mais les autres la
leur faisaient perdre. Comme la surveillante-chef prétendait au rang de
Lagerführerin indépendante, elle ne tarda pas à protester contre une décision
qui la soumettait à un fonctionnaire de même rang qu’elle, et je fus
effectivement obligé de l’annuler. Lorsque Himmler vint à Auschwitz en tournée
d’inspection au cours du mois de juillet 1942, je lui décrivis, en
présence de la surveillante-chef elle-même, le désordre qui régnait dans le
camp des femmes et je déclarai que Frau Langefeld ne serait jamais
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