Le commandant d'Auschwitz parle
question : « Est-ce vraiment nécessaire d’anéantir
des centaines de milliers de femmes et d’enfants ? » Dans le secret
de mon cœur, je me le demandais moi-même sans cesse.
Mais pour les tranquilliser et les consoler, je n’avais qu’une
seule ressource : invoquer les ordres du Führer. J’étais obligé de leur
dire que l’extermination de la juiverie était nécessaire afin de libérer, une
fois pour toutes, l’Allemagne et notre postérité de nos ennemis les plus
acharnés.
Nous savions tous que les ordres du Führer n’étaient pas
sujet à discussion et que les SS étaient tenus de les exécuter. Et pourtant des
doutes secrets s’élevaient ans l’âme de chacun.
Ma position personnelle était telle que je ne devais dans
aucun cas faire l’aveu de ces doutes. Pour donner à tous les participants la
force morale qui leur permettrait de tenir, je devais me montrer
inébranlablement convaincu de la nécessité de ces ordres cruels.
Tous les regards étaient fixés sur moi. Tout le monde m’observait
attentivement pour voir comment je réagissais devant des scènes semblables à
celles que je viens de décrire. Chacune de mes paroles était longuement
discutée par les hommes. Je devais me maîtriser pour ne pas laisser échapper
dans un moment de trouble une phrase qui exprimait mes doutes et mes angoisses.
J’étais obligé d’arborer un air froid et implacable en
assistant à des scènes de nature à bouleverser tout être humain. Il ne m’était
pas permis de me détourner si l’émotion s’emparait de moi. Je devais afficher
mon indifférence tandis que les mères entraient dans les chambres à gaz tenant
par la main leurs enfants qui riaient ou qui versaient des larmes.
J’ai vu une fois deux petits enfants tellement absorbés dans
leurs jeux que leur mère elle-même était incapable de les en arracher. Les
Juifs du Sonderkommando hésitaient à les entraîner. Je n’oublierai jamais le
regard de la mère qui implorait la pitié, consciente du sort qui les attendait.
Ceux qui se trouvaient déjà dans la chambre à gaz commençaient à s’agiter :
il fallait agir. Tout le monde me fixait des yeux : je fis un signe à l’Unterführer
de service ; il prit dans ses bras les enfants qui résistaient violemment
et les emporta dans la chambre, suivi de la mère qui pleurait à fendre l’âme.
Saisi de pitié, j’aurais souhaité disparaître, mais il ne m’était pas permis de
manifester la moindre compassion.
Mes fonctions m’obligeaient à assister à tout le déroulement
de l’opération. Jour et nuit, je devais être là pendant qu’on s’occupait à
extraire les cadavres, à les brûler, à leur arracher leurs dents en or, à leur
couper les cheveux. Ces horreurs duraient pendant des heures, mais je ne
pouvais même pas m’absenter pendant qu’on creusait les charniers qui
répandaient une odeur épouvantable et pendant qu’on brûlait les corps. Il m’incombait
même d’observer la mort à travers les lucarnes de la chambre à gaz : c’étaient
les médecins qui le désiraient.
Je ne pouvais échapper à tout cela parce que j’étais celui
vers lequel étaient tournés tous les regards. Je devais montrer à tous que je
ne me contentais pas de donner des ordres et d’organiser les préparatifs, mais
que j’assistais à toutes les phases des opérations, tout comme je l’exigeais de
mes subordonnés.
Sur invitation d’Himmler, de nombreux membres supérieurs du
parti et des officiers SS venaient à Auschwitz pour assister à l’extermination
des Juifs. Ils en étaient tous profondément impressionnés. Certains d’entre eux
qui, précédemment, avaient prôné avec beaucoup d’ardeur cet anéantissement
étaient terrifiés et se retranchaient dans le silence après avoir assisté à
cette « solution finale du problème juif ». Ils me demandaient chaque
fois comment nous pouvions, mes hommes et moi, supporter à la longue ce
spectacle.
Je répondais toujours que je devais taire toutes mes
émotions, étant placé devant la dure nécessité d’exécuter sans faiblir les ordres
du Führer. Et chacun de ces messieurs me répondait qu’il ne voudrait pas être
chargé d’une besogne semblable. Même les plus « durs », comme par
exemple Mildner et Eichmann, ne manifestaient pas le moindre désir de changer
leur place contre la mienne. Personne ne m’enviait la besogne dont j’étais
chargé.
Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de
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