Le commandant d'Auschwitz parle
les instructions du préposé aux
constructions du Reich, et ils offraient un aspect vraiment lamentable. Arrivés
au lieu de leur destination, ils se trouvaient astreints à un travail pénible
et inaccoutumé, tandis que leur nourriture devenait totalement inexistante. Si
on les avait expédiés directement dans les chambres à gaz, on leur aurait
épargné beaucoup de souffrances. Ils mouraient au bout de très peu de temps
sans avoir été de la moindre utilité pour l’industrie de réarmement. J’ai
souvent traité cette question dans mes rapports mais je ne pouvais rien contre
la pression d’Himmler qui voulait toujours avoir « plus de détenus pour l’armement ».
Il se grisait de chiffres qui indiquaient chaque semaine un nombre croissant de
détenus employés à cette besogne, mais il ne prêtait aucune attention à la
statistique des morts. Au cours des années précédentes, il se mettait chaque
fois en colère lorsque la mortalité augmentait : maintenant il ne disait
plus rien.
Si on avait suivi mes conseils constamment répétés et si on
avait sélectionné à Auschwitz les Juifs les plus forts et les mieux portants,
les rapports auraient probablement indiqué un nombre inférieur de travailleurs
disponibles ; mais dans ce cas on aurait obtenu pour longtemps une main-d’œuvre
vraiment utilisable. Tandis que maintenant les gros chiffres de « disponibles »
s’étalaient uniquement sur le papier, en réalité on aurait pu, dès le début, en
soustraire un pourcentage considérable. Ces hommes représentaient une charge
pour les camps, prenaient la place et la nourriture de ceux qui étaient
capables de travailler et ne servaient strictement à rien. Et à cause de leur
présence d’autres affamés perdaient la capacité de travailler.
On aurait pu facilement prévoir ce décevant résultat :
je crois en avoir assez dit là-dessus.
Dans mes nouvelles fonctions, je me trouvais en contact plus
étroit et plus direct avec la direction générale de la Sécurité du Reich. J’ai
appris à connaître tous les bureaux et tous les dirigeants qui s’occupaient de
camps de concentration et qui avaient leur mot à dire. Je me familiarisais
ainsi avec l’opinion qu’on se faisait, dans cette Direction, des tâches
immédiates des camps. Cette opinion n’était pas unanime : elle dépendait
des chefs des bureaux. J’ai exposé en détail celle du chef du bureau IV [100] : je n’ai
jamais pu bien connaître son point de vue parce qu’il se réfugiait toujours derrière
le Reichsführer.
Quant au bureau des arrestations préventives IV b ,
il était resté fidèle aux vieux principes hérités de l’époque d’avant-guerre.
On se préoccupait essentiellement de la guerre sur le papier, mais pas assez
des véritables besoins créés par la guerre, sinon on aurait pu procéder à
beaucoup plus de libérations.
À mon avis, l’arrestation des anciens dirigeants des partis
hostiles au régime, à laquelle on avait procédé lors de la déclaration de
guerre, constituait une lourde erreur. Le régime, en prenant ces mesures, n’a
fait qu’augmenter le nombre de ses adversaires. En temps de paix, on avait eu
assez de temps pour détruire les éléments subversifs, mais le bureau des
arrestations préventives continuait à se laisser guider par les rapports des
services subordonnés. Aussi me suis-je souvent bagarré avec ce bureau, malgré
les rapports de bonne camaraderie qui me liaient à son chef.
Le bureau des provinces de l’Ouest et du Nord, surveillé de
près par Himmler en personne, se montrait extrêmement prudent et soucieux d’éviter
tout incident. Les « détenus spéciaux » soumis à sa compétence
devaient être traités avec tous les égards et employés à un travail qui ne les
épuiserait pas.
Le bureau des provinces de l’Est n’avait pas à prendre de
précautions semblables. Les détenus originaires de ces régions représentaient,
même si l’on faisait abstraction des Juifs, le contingent principal de tous les
camps. On ne pouvait donc pas se passer de cette main-d’œuvre massive et en
particulier dans les industries d’armement. Les ordres donnés dans ce secteur
se succédaient les uns aux autres sans interruption. Aujourd’hui je vois
clairement à quoi cela devait mener, mais, même à l’époque, j’ai souvent
demandé qu’on améliore la situation à Auschwitz en arrêtant l’arrivée de
nouveaux convois. La direction de la Sécurité
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