Le commandant d'Auschwitz parle
On prétendait par exemple que, lorsque les détenus
d’un camp employé au creusement d’un canal avaient disparu jusqu’au dernier, on
y amenait des réserves fraîches, de nouveaux milliers de koulaks ou d’autres
éléments dangereux, destinés à disparaître à leur tour.
Voulait-on préparer de cette façon les commandants à leur
nouvelle tâche ou voulait-on les rendre insensibles à la situation qui se
présentait avec de plus en plus d’acuité chez eux ? Comme chef du bureau D 1,
j’avais souvent à entreprendre des enquêtes pénibles dans les divers camps de
concentration et plus souvent encore dans les camps de travail. Mon apparition
n’avait rien d’agréable pour le commandant. Il me fallait aussi parfois régler
les départs ou les arrivées de convois, par exemple à Bergen-Belsen. C’était un
camp dont l’Inspection générale ne s’était jamais occupée. Il était destiné, en
premier lieu, par la direction de la Sécurité, aux Juifs dit « douteux [104] » et on n’avait
prévu pour lui qu’une existence provisoire. Le commandant Hass, un
Sturmbannführer, à l’aspect sombre et renfermé, y régnait en maître. En 1939,
il avait été pendant quelque temps Schutzhaftlagerführer à Sachsenhausen, mais
il provenait directement de la troupe SS et ne savait que très peu de choses
sur l’organisation et la vie des camps.
Arrivé à Bergen-Belsen, il ne s’était pas donné la peine de
changer quoi que ce soit aux constructions et aux déplorables conditions
hygiéniques de cet ancien camp de prisonniers de guerre qui nous avait été
remis par la Wehrmacht. Il fut destitué en automne 1944, après s’être
rendu indésirable par ses négligences et par ses histoires de femmes. C’est
alors que je fus obligé de me rendre sur les lieux pour y installer Kramer,
précédemment commandant d’Auschwitz II [105] .
Le camp offrait un aspect désolé. Les baraques destinées aux détenus, à l’économat
et à la troupe, étaient dans un état de délabrement total et les conditions d’hygiène
pires que celles d’Auschwitz.
Mais à cette époque, il n’y avait plus grand-chose à faire
pour les constructions. J’avais obtenu de Kammler [106] l’envoi d’un
chef de travaux énergique, mais celui-ci ne pouvait qu’improviser en se
contentant de petites réparations. Quant aux méfaits de Hass, il n’y avait pour
Kramer aucun moyen de les réparer malgré tout le zèle qu’il allait déployer. Au
moment de l’évacuation d’Auschwitz, un grand nombre de ses détenus fut évacué
vers Bergen-Belsen et le camp se trouva en quelques heures littéralement
submergé. La situation qui s’y établit était telle que moi, qui en avais
pourtant vu de toutes les couleurs à Auschwitz, je me vis obligé de la
qualifier d’atroce. Kramer n’avait aucun moyen pour y remédier. Pohl, lui-même,
fut bouleversé par les impressions qu’il recueillit lors d’un voyage d’inspection
éclair entrepris à travers tous les camps de concentration sur ordre d’Himmler.
De sa propre autorité, Pohl s’empara d’un camp avoisinant qui appartenait à la
Wehrmacht, afin de se procurer un peu de place. Mais ce nouveau camp était dans
un état tout aussi lamentable : il n’y avait pas d’eau, les égouts se
déversaient sur les terrains d’alentour, et ceci en pleine épidémie de typhus
et de fièvre typhoïde. On commença immédiatement à creuser des abris pour
dégager tant soit peu les baraques.
Mais toutes ces mesures n’étaient pas suffisantes et
venaient trop tard. Au bout de quelques semaines, des détenus en provenance de
Mittelbau [107] vinrent s’ajouter à la population du camp. Il ne faut donc pas s’étonner si les
Anglais ont trouvé le camp dans un état indescriptible, regorgeant de cadavres,
de mourants, de typhiques, au milieu desquels erraient les rares détenus bien
portants [108] .
Les bombardements aériens
La guerre, et en particulier les bombardements aériens, exerçaient
une influence de plus en plus grande sur la vie de tous les camps. Les
restrictions qui s’imposaient devaient nécessairement contribuer à la détérioration
des conditions d’existence. Les camps de travail installés auprès des
principales entreprises d’armement, avec une précipitation excessive, en
souffraient plus que les autres.
La guerre aérienne, les bombardements sur les usines ont
entraîné des victimes innombrables parmi les détenus. Les alliés n’ont
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