Le commandant d'Auschwitz parle
cours de l’interrogatoire,
des tortures épouvantables qu’on a imposées aux détenus d’Auschwitz et d’autres
camps, cela me donne le frisson. Je savais certes qu’à Auschwitz les détenus
étaient maltraités par les SS, par les employés civils et, pour le moins
autant, par leurs propres compagnons d’infortune. Je m’y suis opposé par tous
les moyens à ma disposition. Mes efforts ont été inutiles. Un résultat tout
aussi peu satisfaisant a été obtenu par d’autres commandants qui partageaient
mes idées et qui avaient à diriger des camps beaucoup moins importants et plus
faciles à surveiller.
Il n’y a rien à faire contre la méchanceté, la perfidie et
la cruauté de certains d’entre les individus chargés de garder les prisonniers,
à moins de surveiller ces hommes à chaque instant. Les abus deviennent de plus
en plus flagrants à mesure que se détériore le personnel de garde et de
surveillance tout entier. Les conditions de mon emprisonnement actuel m’en
fournissent une nouvelle confirmation.
Dans la zone anglaise où j’étais soumis à la surveillance la
plus étroite, j’ai pu étudier une fois de plus, dans tous les détails, la
mentalité des trois catégories de gardiens. À Nuremberg, un « traitement
individuel » de tel ou tel prisonnier n’était pas possible, car tous les
détenus étaient soumis à la surveillance permanente de l’officier de service.
Même pendant mon passage à Berlin, j’ai été maltraité uniquement
par des tierces personnes qui faisaient des apparitions soudaines dans les
cabinets de toilette.
Dans la prison de Varsovie qui était (pour autant que je
puisse en juger de ma cellule) dirigée avec discipline et précision, il y avait
un gardien – mais il était le seul – qui, à peine arrivé dans notre
pavillon, courait d’une cellule à l’autre à la recherche des Allemands et les
rouait de coups. À l’exception de von Burgsdorf, qui s’en est tiré avec
quelques gifles, tous les autres Allemands ont reçu leur bonne portion de brutalités.
C’était un jeune homme de dix-huit, vingt ans, le regard animé d’une haine
froide : il se disait Juif polonais, mais il n’en avait pas l’air. Il se
montrait infatigable pour battre les détenus, il s’arrêtait seulement lorsque
son collègue lui signalait l’apparition de tierces personnes. Je suis convaincu
que ni les fonctionnaires supérieurs ni le directeur de la prison n’auraient
approuvé cette façon d’agir. On est venu plusieurs fois me demander comment j’étais
traité, mais j’ai toujours tu ces actes devant les fonctionnaires qui m’interrogeaient,
puisqu’il s’agissait d’un seul gardien. Les autres se montraient plus ou moins
sévères et rébarbatifs, mais aucun d’entre eux ne s’est livré sur moi à des
voies de fait.
On voit donc que même dans une petite prison le directeur ne
saurait empêcher les abus de ses subordonnés. Dans un camp de la dimension d’Auschwitz,
c’était chose absolument impossible.
Certes, j’étais dur et sévère, souvent même trop dur et trop
sévère comme je m’en aperçois aujourd’hui.
Dépité par les désordres ou les négligences, je me suis
permis parfois des paroles méchantes dont j’aurais mieux fait de m’abstenir.
Mais je n’ai jamais été cruel et je ne me suis jamais laissé
entraîner à des sévices.
Bien des choses se sont produites à Auschwitz – soi-disant
en mon nom et sur mes ordres – dont je n’ai jamais rien su : je ne
les aurais ni tolérées ni approuvées.
Mais puisque c’était à Auschwitz j’en suis responsable. Le
règlement du camp le dit expressément : « Le commandant est entièrement
responsable pour toute l’étendue de son camp. »
Je me trouve maintenant à la fin de ma vie.
J’ai exposé dans ces pages tout ce qui m’est arrivé d’essentiel,
tout ce qui m’a influencé et impressionné. Je me suis exprimé en conformité
avec la vérité et la réalité ; j’ai raconté ce que j’ai vu de mes yeux. J’ai
laissé de côté les détails qui me paraissent secondaires ; il y a aussi
beaucoup de choses que j’ai oubliées ou dont je ne me souviens que fort mal.
Je ne suis pas un écrivain et je n’ai pas beaucoup manié la
plume. J’ai dû me répéter très certainement ; il est également probable
que je me suis souvent mal exprimé.
Le calme et la sérénité qui m’auraient permis de me
concentrer pour ce travail m’ont également
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