Le commandant d'Auschwitz parle
manqué.
J’ai écrit au fil de la plume mais je n’ai pas eu recours à
des artifices. Je me suis dépeint tel que j’étais, tel que je suis.
Mon existence a été colorée et variée. Mon destin m’a
conduit sur les hauteurs et au fond des abîmes. La vie m’a souvent durement
secoué, mais, partout, j’ai tenu bon et je n’ai jamais perdu courage.
Deux étoiles m’ont servi de guides à partir du moment où je
suis rentré, adulte, d’une guerre dans laquelle je m’étais engagé gamin :
ma patrie et ma famille.
Mon amour passionné de la patrie et ma conscience nationale
m’ont conduit vers le parti national-socialiste et vers les SS.
Je considère la doctrine philosophique, la Weltanschauung du national-socialisme, comme la seule appropriée à la nature du peuple
allemand. Les SS étaient, à mon avis, les défenseurs actifs de cette
philosophie et cela les rendait capables de ramener graduellement le peuple
allemand tout entier à une vie conforme à sa nature.
Ma famille était pour moi une chose tout aussi sacrée ;
j’y suis attaché par des liens indissolubles.
Je me suis toujours préoccupé de son avenir : la ferme
devait devenir notre vraie maison. Pour ma femme et pour moi, nos enfants
représentaient le but de notre existence. Nous voulions leur donner une bonne
éducation et leur léguer une patrie puissante.
Aujourd’hui encore, toutes mes pensées tendent vers ma
famille. Que vont-ils devenir ? L’incertitude que je ressens à ce propos
rend ma détention particulièrement pénible.
J’ai fait le sacrifice de ma personne une fois pour toutes.
La question est réglée, je ne m’en occupe plus. Mais que feront ma femme et mes
enfants ?
Mon destin a été bizarre. Ma vie a souvent tenu à un fil,
pendant la première guerre, pendant les combats des corps francs, au cours d’accidents
du travail. Ma voiture a été tamponnée par un camion et j’ai failli être tué.
Montant à cheval, je suis tombé sur une pierre et j’ai manqué être écrasé par
ma monture : je m’en suis tiré avec quelques côtes fracturées. Pendant les
bombardements aériens, j’ai souvent cru mon dernier moment venu et il ne m’est
rien arrivé. Peu de temps avant l’évacuation de Ravensbrück, j’ai été victime d’un
accident d’auto et tout le monde me tenait déjà pour mort ; une fois
encore, je m’en suis bien sorti.
Ma fiole de poison s’est brisée juste avant mon arrestation.
Chaque fois le destin m’a épargné la mort pour me faire
subir maintenant une fin dégradante. Combien j’envie mes camarades tombés en
soldats au champ d’honneur !
J’étais un rouage inconscient de l’immense machine d’extermination
du Troisième Reich. La machine est brisée, le moteur a disparu et je dois en
faire autant.
Le monde l’exige.
*
Je n’aurais jamais consenti à dévoiler mes pensées les plus
intimes, les plus secrètes, à exhiber ainsi mon « moi » si on ne m’avait
pas traité ici avec tant de compréhension, tant d’humanité.
C’est pour répondre à cette attitude que je me devais de
contribuer, dans la mesure où cela m’était possible, à éclaircir des points
obscurs.
Mais, lorsqu’on utilisera cet exposé, je voudrais qu’on ne
livrât pas à la publicité tous les passages qui concernent ma femme, ma
famille, mes mouvements d’attendrissement et mes doutes secrets [120] .
Que le grand public continue donc à me considérer comme une
bête féroce, un sadique cruel, comme l’assassin de millions d’êtres humains :
les masses ne sauraient se faire une autre idée de l’ancien commandant d’Auschwitz.
Elles ne comprendront jamais que, moi, aussi, j’avais un cœur…
Cracovie, février 1947.
Rudolf Hoess.
Annexe
(NOVEMBRE 1946)
La « solution finale » du problème juif dans
le camp de concentration d’Auschwitz
C’était en été 1941 (je ne me souviens plus de la date
exacte) que je fus soudain convoqué à Berlin chez le Reichsführer SS [121] par l’un de ses
aides de camp. Contrairement à ses habitudes, il me reçut en tête à tête et me
déclara ce qui suit : « Le Führer a donné ordre de procéder à la “solution
finale” du problème juif. Nous, les SS, sommes chargés d’exécuter cet ordre.
« Les centres d’extermination déjà existants dans la
zone orientale ne sont pas en état de mener jusqu’au bout les grandes actions
qui sont projetées. C’est donc dans ce but que j’ai
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