Le Conseil des Troubles
place.
« Il pense à la baronne » songea Pontecorvo qui observa :
— Je vous ai déjà dit, général, de faire confiance à la Providence.
— Pourquoi le ferais-je? questionna Bamberg.
— Parce que je sens que cette fois, elle ne vous décevra pas.
Une immense et double clameur monta des deux extrémités de la rue. Aussitôt, Bamberg siffla et Sereni tourna la tête vers lui. Le général tendit ses deux mains doigts écartés, signifiant clairement « dix ». Sereni, ne pouvant lui non plus se faire entendre au milieu des combats, leva deux fois les deux mains : « vingt ».
Quelques instants plus tard, vingt dragons au pas de course gagnèrent la rue, doublant l'effectif mis à la disposition de Cipriano.
— N'est-ce point trop ? demanda Mortefontaine.
— C'est ambitieux mais Sereni est de ces officiers qui calculent toujours les risques avec précision. Il lui reste soixante hommes d'élite. L'adversaire, lui...
Il désigna la cour jonchée, sur la neige durcie, de dizaines de cadavres où se mêlaient coupe-jarrets et perles de l'aristocratie de Prusse.
Puis on entendit les salves. Cipriano avait établi le contact et Bamberg se précipita. Aussitôt, l'officier d'origine espagnole voulut lui transmettre le commandement, ce que le général refusa, non sans élégance :
— Vous faites cela parfaitement, lieutenant. J'ai toujours su que vous seriez officier.
Lisant une question dans les yeux de Cipriano, Bamberg regarda un instant des deux côtés de la rue les centaines d'assaillants qui se ruaient vers la quarantaine de dragons en agitant des piques et des haches. Décidément, en soudoyant toute la truanderie de Paris, et malheureusement aussi des pauvres gens abusés, Von Ploetzen avait bien placé son or.
Bamberg soupira et répondit enfin à la question muette :
— C'est votre calme qui m'a convaincu. Des milliers d'hommes se jettent sur nous et vous donnez vos ordres calmement. Rien ne rassure davantage les hommes : c'est cela, un officier. Et puis c'est aussi une affaire de... Vous avez un mot, je crois, en espagnol : cojones 1 .
Cipriano sourit et pour la première fois depuis de longues années qu'il connaissait le général, il s'autorisa une petite familiarité :
— Monsieur le général, celui qui nous les coupera n'est pas près de voir le jour !
— Ne leur en donnons pas l'occasion ! répondit le général, mousqueton à la main, en prenant place dans la ligne comme un simple soldat.
De fait, il fallait bien du sang-froid pour se trouver à seulement quarante, calmes et méthodiques, quand des centaines d'hommes surgissaient des deux côtés d'une rue pour vous faire mauvais parti, hurlant, bouches déformées par la haine. Bien en vain car les tirs des dragons étaient époustouflants de précision.
Par de brefs regards, Bamberg surveillait la cour où Sereni menait bien son affaire, envoyant un dragon à ceux de la rue dès qu'un adversaire était tué.
Les vagues d'assaillants venaient mourir de plus en plus près des dragons et elles augmentaient cette poussée. Les hommes aux tuniques écarlates seraient bientôt noyés sous le flot. On sentait que tout était perdu mais s'ils le savaient, nul ne se débandait.
C'est alors qu'il se produisit une chose étonnante : les clameurs, à présent, venaient de l'arrière, et de part et d'autre.
Simultanément, tandis qu'en le ciel noir se succédaient les fusées blanches appelant à l'émeute, on y vit soudain des fusées vertes, de cette couleur qui rappelait aux dragons la signalisation des lignes royales lors de la rupture du siège de la ferme fortifiée.
Bamberg savait que des fusées de ce vert émeraude n'existaient qu'en un seul endroit. Il avait même visité la manufacture qui les fabriquait et comptait une particularité : elle ne fournissait que l'armée royale...
1 Testicules.
67.
Von Ploetzen, triomphant un instant plus tôt, accueillit la défaite inéluctable avec une certaine grandeur, lançant froidement :
— Eh bien tout est fini...
Aux deux extrémités de la rue, les troupes royales repoussaient avec violence les émeutiers et Bamberg, qui se trouvait au milieu, se déroba avec intelligence en ramenant ses dragons vers l'intérieur de la cour dont il barra l'entrée par un mur infranchissable de quatre-vingts mousquetons.
Le Grand Maître des Teutoniques regardait sans les voir une dizaine de jeunes Prussiens lesquels, en toute hâte, étalaient sur les murs et dans les escaliers un
Weitere Kostenlose Bücher