Le Conseil des Troubles
siècle les Bamberg étaient très attachés. Toujours, lors des moments sombres, et bien sûr les guerres, les portes du château s'étaient ouvertes - et bien vite refermées - pour accueillir la population villageoise et soutenir le siège ensemble. On faisait alors table commune, mangeait exactement les mêmes choses tandis que les ducs, leurs épouses et leurs enfants se retiraient en une seule pièce pour accroître l'espace habitable en de bonnes conditions de confort. En outre, on avait formé une milice à laquelle appartenaient tous les volontaires en âge de servir et, au grand scandale des villages voisins, on y incorporait depuis le XVI e siècle les femmes qui le souhaitaient et se révélaient souvent redoutables avec une arme à feu.
Enfin les Bamberg, et Tancrède ne faisait pas exception, recueillaient au village leurs vieux soldats ou les amputés de leur régiment si bien que le niveau militaire de la milice était très élevé. C'était grande fête que de voir tout le village, et ceux du château, construire une maison pour un jeune dragon ayant perdu un bras ou un vieux sergent qui ne parvenait pas à retenir ses larmes, se sentant adopté en une véritable famille, souvent pour la première fois de sa vie.
D'autre part, chasses et péches étaient autorisées une fois par mois afin que le gibier ne se raréfie pas. Bamberg, au reste souvent à la guerre à des journées de cheval, avait trop confiance pour faire vérifier qu'on ne commît point d'abus et nul ne fut jamais tenté de trahir cette confiance.
Enfin, si l'un de la communauté se trouvait veuf, veuve ou malade, la tradition voulait qu'on lui apportât toute l'aide nécessaire.
Hugo, amusé, s'approcha du duc :
— Que diable vont-ils faire de ces vieilles choses d'un autre temps ?
— La cotte de mailles servira au père Golfin pour ses abeilles.
— Si elles piquent ce métal tressé, elles en crèveront.
— Les guêpes ne sont point folles. Ni les abeilles.
Tancrède se sentait de bonne humeur. Il aimait les tours et détours du destin : par exemple que ces chevaux de guerre et de haute truanderie finissent avec une vie paisible de chevaux de labour, au grand bonheur des villageois auxquels ils épargneront peines et fatigues.
Tancrède aimait les animaux, chose rare en ce temps. Il aimait leurs yeux où il lisait souvent amour, pureté, absence de méchanceté. Et puis un chien, par exemple, ne juge pas son maître, quels que soient les défauts de celui-ci.
Lui qui d'ordinaire conservait si bien son sang-froid entrait en une rage folle lorsqu'un cavalier abandonnait un cheval à la patte cassée, sachant qu'il mettrait des jours à mourir. Alors, il se montrait fraternel en tirant en pleine tête la balle qui abrégeait les souffrances. Quant au cavalier égoïste, qu'il fût français ou ennemi, il recevait à mains nues une sévère correction.
Un vent très froid soufflait du nord-est. Bamberg leva les yeux vers le bandeau de pierre qui surmontait les portes massives du château. Subissant un accablement inattendu, le duc observa ses armoiries usées par le temps, la pluie, le gel et le vent. C'est à peine si l'on distinguait clairement la hache et l'épée croisées qui servaient d'insigne à son unité, ici surmontées d'une tête de loup toutes dents dehors, afin de dissuader qu'on s'attaque aux Bamberg. En la partie inférieure, sous les armes, se voyait une tour qui figurait peut-être ce château imprenable - et jamais pris ! - où se succédaient les générations.
Ah, tous ces siècles, comme ils pesaient ! En cet instant, écrasé par les révélations sur l'Atlantide, Tancrède souhaita ne point avoir de naissance tant il se sentait fatigué par la longue histoire de sa famille.
Il dressa soudain l'oreille, chassant ses sombres pensées. Puis, à la stupéfaction générale, il courut vers le château et revint aussitôt, un pistolet à la main.
Passant le pont-levis, il se trouvait à une trentaine de mètres de la route durcie par le gel et qu'il ne chercha pas à gagner. Hugo, Clément et quelques villageois curieux l'avaient suivi lorsque enfin les oreilles les plus fines perçurent le bruit d'un cheval lancé au galop.
Le cavalier tenait une lance ancienne. Il portait une tunique frappée de la croix noire des Teutoniques mais sans doute s'agissait-il d'un simple vêtement de toile, l'allure du cheval étant trop rapide pour supporter à ce rythme un homme en cotte de mailles.
Arrivé sans
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